Elle est assise dans le fauteuil. On a apporté son fauteuil quand on l’a installée ici, c’était leur recommandation, on a aussi apporté la commode, une table mi basse et son panier, au début elle continuait ces mots-croisés puis mots fléchés qui ne pouvaient jamais plus finir. Souvent elle a dans les mains quelque chose, ce qui vient, une chose en bois, un morceau de tissu. Beaucoup d’interrogations et de considérations et même d’inventions peuvent venir d’un morceau de tissu. Au début on gardait des papiers dans le tiroir de la commode : des magazines, des albums, des photos plastifiées, je ne sais plus. Aujourd’hui le tiroir est vide. C’est elle-même qui a dispersé tout ça, dans les autres chambres, dans la salle commune (cantou), ou si ça se trouve directement à la corbeille. Elle n’aime pas ce qu’elle ne comprend pas, elle le rejette. Au mur près de la porte, une boîte avec indiquée « famille », pour les factures, les formalités (elles sont rares). Les papiers sont chez mon frère. C’était plus simple qu’on centralise les papiers chez mon frère. Le livret de famille, des choses qu’elle avait elle-même trié, mis sous élastique avec des étiquettes. Et même des dossiers cartonnés avec mon propre prénom ou celui de mes deux frères. Les documents de tutelle, les relevés de banque. Les cartons de photo. Le reste partagé ou dispersé. Il n’y a plus besoin de clé. Ni pour entrer ni pour sortir. Le code est tout simple : le numéro du département, le numéro du département voisin et un A pour finir. En quatre ans jamais changé le code. Pourtant chaque fois je l’ai oublié : chaque fois c’est l’émotion qui crée en toi cet effacement. Ou parce que son effacement, effacement aussi dans toi. Sous clé les vêtements dans le grand placard, au début ça la heurtait. Mais sinon sans cesse ils y fourragent, réarrangent. On entre dans un pays où même des papiers celle qui est dans le fauteuil est libérée. Comme libérée aussi de ces agrandissements plastifiés, punaisés sur le grand panneau qui sépare la chambre de la salle de bain et sa douche médicalisée : les images ne relient plus à du réel, quand le réel est devenu image, et porte ses propres histoires – la maison aux volets rouges qu’elle voit là-bas, par dessus la haie et le grillage, où on ne voit que le rond-point. Sa panique parce qu’une fois on avait ouvert la porte-fenêtre, il faisait chaud dans la chambre. Le bout de tissu qu’elle tient dans ses mains. L’absence de tout papier. Qu’elle est content cependant des visites. Qu’elle fait des efforts, pour reconnaître, pour poser des questions sans qu’on s’aperçoive qu’elle n’a pas su deviner. Ni que nous on refasse des présentations. On partira : elle sera sur le fauteuil, l’après-midi se dore lentement sur les persiennes. La télévision louée reste noire depuis longtemps, au fait la télécommande non plus n’est pas dans le tiroir.
« Souvent elle a dans les mains quelque chose, ce qui vient… » Que c’est beau ce texte, je vois tout .
merci, Nathalie – suis resté bon moment à me dire que si je n’avais aucun moyen de répondre à ma proposition c’est à cause de ça, et que c’était ça mon point d’entrée
évocateur de souvenirs pas si lointains.
plus d’un.e d’entre nous…
Quel superbe texte !
Bonsoir, merci, de ce texte de l’amoindri, détails à détails, quand tout compte,
Un code simple et qu’on oublie pourtant…
Puis on entre dans un pays où des papiers meme celle qui est dans le fauteuil est libérée …
Une relation pourtant tellement « présente »au travers , au delà de cet oubli cette libération
Parfois il m’est arrivé de me demander si ce n’était pas cela la seule vraie relation que l’on conserve qui reste
Elles se ressemblent comme des fleurs fragiles dans un jardin… Les Elles, assises…
Merci pour ce portrait tendre d’une relation à travers tous ces détails quotidiens et cette grande avancée dans l’âge.