Ce fut la révélation du lycée. Yvon Rolland, notre vieux professeur, nous avait déclaré péremptoire, lors d’un de ses cours d’art plastique au Lycée de Montgeron, le tronc de l’arbre tout le monde le dessine marron, mais il n’est pas marron, il est de toute autre couleur, en fonction de la saison, de la température, du type d’arbre, de l’heure de la journée, de l’état de l’arbre, de son orientation. Le marron du tronc d’arbre n’existe pas ! Une révélation, vous dis-je. Comment continuer voir à partir de là tout ce qui nous entoure avec les couleurs uniques qu’on nous impose. Tout est faussé, trompe-l’œil. J’ai gardé ce précieux conseil et je ne m’arrête jamais à la couleur que mes yeux perçoivent dans un premier temps, elle est souvent celle apprise dans les livres, ou celles des photographies. Quand on regarde autour de soi suffisamment longtemps et avec une attention prolongée, c’est un miroitement de couleurs éclectiques, éphémères. Et justement quand j’observe le tronc des platanes depuis la fenêtre de mon bureau, les arbres qui bordent le boulevard de la Villette, je vois leurs troncs nus en partie desquamée, multicolores, tachetés en surimpression par la lumière qui traverse leurs feuilles, dans l’ombre du feuillage dense et fourni. Comment pourrais-je définir cette couleur que je ne vois plus très bien, attiré par les mille variations de ses larges feuilles palmées qui oscillent au vent de cet été orageux, sous l’incessante transformation de ses lumières vacillantes au fil de la journée ? En ce moment par exemple, les deux immenses platanes situés sur la contre-allée face à la bibliothèque au deuxième étage de laquelle je travaille, croisent leurs branches et la couleur de leur feuillage. Celui de gauche, dans les teintes asperge, anis, avec des pointes pomme ou prairie dans les parties les plus hautes. Celui de droite qui vient à sa rencontre, qui semble le faire danser harmonieusement, et dont les branches se mêlent délicatement à celles de son voisin, offrant une large palette entre l’émeraude et l’infini. Il y a un peu de vert citron, mais surtout du vert anglais. Le vert anglais se décline selon deux tons assez soutenus, l’un clair et tendant vers le jaune, et l’autre plus foncé qui tend vers le bleu. Et dès que le soleil surgit derrière les nuages, c’est l’incendie, toutes les nuances évoluent, se rehaussent, éclatent de luminosité, de brillance, de limpidité, leurs reflets s’intensifient. Pour en revenir au tronc, les platanes sont de grands arbres à feuilles caduques qui ont une écorce remarquable s’exfoliant en plaques de taille variable, mettant à jour une écorce fine très lisse, presque soyeuse, de couleur verdâtre ou jaunâtre s’éclatant en grandes taches. Leurs écorces fissurées en écailles évoquent les cartes de pays inventés aux formes variables. Aucun tronc d’arbre ne ressemble à un autre, les motifs de leurs écorces sont infiniment variées, comme leurs couleurs, évoluant entre le vert de gris, le vert moisi, le vert pâle, avec un aspect peau de serpent rappelant également les tenues de camouflage qui en France associent quatre coloris : beige, vert, marron et noir. Il est amusant de remarquer les différences de teintes et de coloris selon les pays et les terrains d’opération. Ses motifs rappellent l’écorce des arbres. Tout en dessous, l’écorce interne apparaît à la fin, couleur crème.
Observation si fine et délicate comme ces platanes que tu décris ! Merci !
Merci beaucoup Helena, ils sont encore sous mes yeux pendant que j’écris ce commentaire à votre commentaire, le soleil a quitté le boulevard, ils plongent désormais dans l’ombre et s’agitent sous le vent qui s’est levé depuis une heure.
oh merci ça me confirme dans l’idée au départ si fragile venue du texte de Tarkos…
Merci François, en commençant le texte j’avais en tête quelque chose plus proche du gris de Takos et de ses allitérations, mais ton texte et la vue depuis mon bureau m’en ont heureusement éloigné. Mais oui, le texte de Tarkos est inépuisable.
plongée merveilleuse dans le tronc d ‘arbre…merci pour ce texte
Merci Marie-Caroline, l’arbre s’est imposé à moi par sa proximité (la vue depuis ma fenêtre), et la variété de ses couleurs, toute en nuances, du tronc aux feuilles !
la révélation venue du professeur: la couleur est un leurre
apprendre à regarder, après avoir compris que jusque-là, on n’avait rien vu. C’est presque un conte
Merci Philippe, le conte ce n’est pas ce dont je me sens le plus proche, mais par le biais de l’arbre, le souvenir d’enfance et du professeur, je comprends la référence, une sorte de morale de l’histoire.
J’aime beaucoup cette plongée dans une couleur qui n’en est pas une. Lorsque j’ai écrit mon texte sur cette proposition, je me suis demandé si la couleur des choses vivantes (les arbres, la ville, le ciel…) n’était pas celle de la lumière. Merci pour ce très beau texte.
Merci Jean-Luc, je suis tout à fait d’accord avec vous sur la lumière qui détermine la couleur d’une ville et de tout ce qui s’y trouve, comme je viens de vous l’écrire en commentaire de votre beau texte sur la couleur de votre ville.