Noir et blanc noir et blanc noir et blanc juste après l’Irlande et la pellicule couleur, le premier film 36 poses avec à l’intérieur la potentialité de quelque chose de vraiment positif mais tracassant déjà des diapositives en couleur des positifs déjà prêts à être projetés sur le mur de l’appartement à la Bastille l’éblouissement atteint dès cette première tentative photographique en couleurs avec ce tout premier appareil acheté à tempérament un Nikormat chez Prophot boulevard Beaumarchais juste avant de partir d’amerrir à Cork avec encore de la mousse jaunâtre et de l’écume aux lèvres d’ouvrir la portière de la voiture de location de quelle couleur était t’elle cette bagnole m’en souviens pas une bagnole banale mais quelle couleur vraiment ça tu ne l’as pas conservé tu l’as carrément égaré et de filer vers Galway et ses petites maisons charmantes, ses jolies couleurs, le vert notamment toutes sortes de verts jamais vus auparavant, mais facile le vert en Irlande suffit que vienne le souvenir de la verte Erin, tout cet embrouillaminis de films américains avec John Wayne et Maureen O’hara, l’homme tranquille ça parle bien de tout sauf de cette couleur précisément le vert quel vert avec cette pointe de rouge dissimulée pas très loin toujours du rouge à lèvres du rouge rubis du rouge sang du rouge rebelle ou tyrannique mon dieu tout ces clichés qui arrivent à la pelle avec le rouge on ne sait plus trop désormais on pourrait glisser si facilement soudain vers les roses délavés et se retrouver avec un gout de tourbe dans la bouche avec un cœur d’artichaud vert gonflé de larmes de crocodiles – y en a pas en Irlande- et tu ne vas tout de même pas encore raconter ma vie, pas encore une fois de plus pas cette vie là que tu ressasses sur tous les tons celle qui arrive comme ça si facilement dont au présent ce serait si facile de l’enjoliver la transformer la réinventer encore et toujours à l’aide de cette ritournelle perpétuelle de souvenirs trop faciles ennuyeux pour toi qui te laissent dans ce rapport figé avec le temps avec le monde avec la couleur parfois aussi c’est compris assimilé mais ce qu’il faudrait creuser sans doute et parvenir ensuite à conserver c’est justement ce passage sibyllin de la couleur au noir et blanc en ce temps là car tu n’y as pas beaucoup réfléchi ça reste absolument vierge de ressassement on pourrait même dire que c’est d’une actualité étonnante au présent de l’indicatif pour indiquer cet oubli maintenant que ça te revient, maintenant qu’au détour d’un simple exercice d’écriture qui n’est d’ailleurs pas si simple tu te mettes précisément à ne plus penser qu’à ça et à rien d’autre surtout quand il s’agit de couleur c’est drôle tu t’en rends compte tu l’as déjà surement déjà dit tu ne peux pas m’empêcher de le dire encore quelque fois quand tu rechutes tu le répètes que tu es peintre que la couleur t’en connais un rayon mais qu’à partir du moment précis où on te demande à froid comme ça d’évoquer quelque chose à partir de cette couleur n’importe laquelle voici que tu cours tu cavales te réfugier aussitôt dans le noir et blanc bizarrement parce que tu le dis toujours tu le dis souvent que la couleur ce n’est rien en peinture que la couleur n’est pas importante que ce qui compte c’est la valeur et rien d’autre regarde un peu comme là maintenant tu as l’air fin n’est-ce pas maintenant que tu t’aperçois à quel point quand tu penses couleur s’avance ces deux là que l’on ne considère pas comme telles pas comme des couleurs mais le noir et le blanc mais ne t’égares pas encore fiche toi du nom dont on les baptise ce n’est pas tant ça l’important du moment ce qui est important c’est ce qui vient là tout de suite comme par exemple tous ces mots que tu n’ associes pas souvent à noir et blanc que tu as oublié d’associer durant des années tri x pan 400 asa 36 poses papier baryté agrandisseur et cuvettes une de chaque couleur primaire tiens je n’avais jamais pensé à cela non plus celle du révélateur est jaune, celle du fixatif est rouge et entre les deux ton cœur balance est-ce gris non puisque c’est primaire le mot que tu as dit mais tu as un mal de chien à imaginer cette bassine bleue sous la lumière rouge Ilford tu ne l’as pas dit mais également Agfa Publimod et encore des noms qui défilent Ditivon Doisneau Le magazine Vu de Libé et ce boulot sur le cheval d’Agnès Bonnot sans oublier ce vieux râleur de Cartier Bresson se ramenant avec ses dessins sous le bras et Ionesco ses mises en scènes interlopes ses fanfreluches son ton pointu de vieille roumaine complètement azimutées et Marc Bruat avec son caractère de cochon et sa flute japonaise ses tibétains quai de la Gare en face de Bercy et Fury plus haut dans les étages et sa toile peinte à la bombe fluo cette marrade quand elle me dit qu’il s’agit de croisés qui se sont croisés en train de jouer aux cartes dans une grotte durant une croisade dans une grotte deux traces fluo sur un fond noir quelle rigolade et Domino avec son harmonica et sa raquette de Ping Pong la bande à Higelin voyez un peu comment ça sort comment ça vient mais Publimod merde alors le nom de la rue comment c’était déjà le nom de la rue résiste rue comment déjà tu l’as sur le bout de la langue ne te presses pas tu ne connais qu’elle cette rue bien sur tu ne connaissais qu’elle en ce temps là à la voici la voilà la rue du roi de Sicile et vous n’allez pas le croire elle aussi avait à voir avec la Sicile d’origine et aussi de famille bon Dieu de caractère et le noir et blanc m’y ramène aussi comme dans l’entrée de l’appartement où s’enfilent à la queue leu leu encore les nuits blanches à développer tout ces négatifs pour en extraire des beaux positifs pour aller rendre le lundi rue vieille du Temple chez les architectes épreuves sur papier mat ou glacé épreuves on dit aussi tirages de maquettes de photos de Bercy de l’université de Ryad avec derrière tout ça des voyages des aventures extraordinaires et aussi des secrets jamais dits qui pèsent encore quand tu développes tout ça durant les nuits sous ton vieux Durst comme dans le bouquin demande à la poussière dans l’appartement de la Bastille le noir et blanc elle eux Paris et toi plus quelques petites choses encore qui peinent à venir il faudrait avoir recours à l’impératif les convoquer si ça pouvait au moins servir à quelque chose de s’en souvenir si ça pouvait servir à Dieu seul sait quoi ou le diable tiens tu te souviens du diable vauvert, le diable et le vert encore toute une histoire le diable et les verres aussi tous ces verres qu’on boit tout seul ou pas dans une ambiance en noir et blanc qui rappelle aussi la nausée alors que le sujet n’est pas là, qu’il faut comme toujours lorsqu’on écrit écrire tout autre chose que ce que l’on croyait vouloir dire comme tu dis à tes élèves lâchez vous, peignez donc à toute berzingue filez entre les pensées Drôle de voyage en tous les cas depuis Gallway jusqu’à Quetta en en voyant de toutes les couleurs et toujours cette obstination maladive t’a t’on dit pour le noir et le blanc – les magazines notamment- Sipa aussi- qu’allons nous faire de tout ce noir et blanc pareil aussi pour Jeune Afrique quand tu ramenais un reportage sur Fela au Feel One avec aucune couleur sauf le noir et le blanc comment vous n’avez pas fait de couleurs quel dommage ça alors que voulez vous que nous fichions de votre état d’âme saumâtre en noir et blanc exactement pareil pour le Baiser salé, pour tous ces lieux où tu n’étais pas là vraiment mais dans la peau d’un photographe des années 50 avec comme compagnon de beuverie Anselm Adams son zone System et Hemingway, Bukowski quand photographie noir et blanc se mélangeait déjà avec l’Amérique et l’écriture dans ta cervelle Et cet homme qui s’en revient de guerre en réalité criblé de magistrales lèpres, cicatrisées à peine en tous les cas colorées, de cratères en tous genres cet homme rappelle toi donc tes yeux l’ont bien surpris en couleur pourtant, sa peau était grise elle n’avait plus grand chose à voir avec la peau il y avait des brulures de différents degrés à peu près partout, les brulures étaient brunes et elle contrastaient doucement avec la peau gris claire autour il n’y avait plus de rose plus d’ocre plus de sienne naturelle pas même la jolie sienne brûlée le napalm avait tout modifié des couleurs primaires de la chair le napalm ne pardonne pas et souviens toi les lèvres serrées et d’une pâleur étonnante pour des lèvres et tu avais cet homme en face de toi assis sur le rebord de son lit d’hôpital même ravagé il posait pour la photo parce qu’on lui avait dit que tu étais journaliste et aussi docteur, là bas il suffit d’être français et blanc pour être toubib à Quetta à l’hôpital de Quetta où l’on t’avait emmené de toute urgence pour que tu témoignes de qui de quoi tu ne sais plus très bien tant les guerres sont proches presque identiques en tout point par ici et sur les photographies en noir et blanc pour que tu photographies cet homme cet afghan et de quoi aurais tu l’air de quoi s’ils avaient su que dans ton Leica tu n’avais que du noir et blanc pour capturer le moment ils auraient dit Rhalab prononcer ralab voilà ce qu’ils auraient dit Rhalab ce qui veut dire en gros nul à chier en farsi et ils auraient probablement eu raison sauf que toi tu est obstiné comme ce n’est pas permis encore au jour d’aujourd’hui obstiné et cinglé par le fait que la couleur n’est toujours pas intéressante en photo que la photo c’était cela a toujours été et sans doute que ça le restera du noir et blanc et tu pourrais en écrire encore des pages et des pages sur le sujet et revenir encore et encore à ton origine ton point de départ c’est à dire le noir le blanc la couleur en général ou en particulier sans pouvoir en dire que dalle certainement bien moins qu’au tout début en tous cas tu pourrais même rester muet totalement à ce sujet désormais comme tout à chacun élégamment pourrait se taire pudiquement , élégamment sans déranger personne sans étaler sa vie en restant discret quoi c’est pour ça aussi que tu as voulu faire du noir et blanc au tout début après la couleur en Irlande, la couleur c’était beau mais tu t’en souviens maintenant de ce vertige non n’as tu pas senti presque aussitôt que tu es sorti dans la rue que tu as pris dans tes doigts les diapos la cause d’un tel vertige tout à coup c’était limpide c’était beau la couleur mais trop beau trop beau déjà à l’époque ça marchait bien avec parfaitement faux. alors très vite pour t’enfuir de la couleur tu as plongé dans le noir et blanc des années durant et c’est drôle te voici peintre désormais.
passé un temps dingue à chercher la photo de cet homme brulé assis sur le rebord de son lit d'hôpital il faudrait que tu classes tout ça un de ces jours, tous ces vieux négatifs restés dans une boite au grenier tu ne la retrouve plus cette photographie tu ne l'as peut-être pas scannée la flemme salutaire t'aura stoppé net en reluquant la planche contact peut-être que c'est aussi très bien comme ça peut-être que ça n'a d'intérêt véritable que seulement pour toi c'est difficile de faire la part des choses entre ce qui est utile et ce qui ne l'est pas donc une image mise en avant qui représente la préparation d'une surface, de l'enduit sur un fond noir des miettes de bois du carton quelque chose qui fera obstacle en tous cas au lisse puis sur quoi on s'accrochera pour découvrir de nouvelles pistes
c’est passionné et enflammé comme quelqu’un qui court à perdre haleine. « la photo c’était cela a toujours été et sans doute que ça le restera du noir et blanc » tout à fait d’accord
Quels beaux développements. Merci Patrick.
texte dans le dur ! de la non couleur du contraste – couleur narrative, ça avance, vers un point de fuite bien précis,
[petite remarque si je peu – je trouve par contre que les parties plus « intimes » où le narrateur se parle à lui-même ralentissent le rythme, et d’ailleurs vous les installer souvent comme des incises, – pour moi – le texte qui déconstruit la couleur au profit du N&B a suffisament de précense (si cette remarque vous déplait ou quoique ce soit, je l’enlève)]