La torpeur du soleil pesait sur la ville endormie. Je déambulais depuis bientôt une heure au hasard des quartiers, dédales de rues et de friches et j’avais réussi : j’étais perdue. J’avais défait le Territoire. J’avais brouillé les pistes. J’avais laissé la ville reprendre le contrôle. A ma façon, je marronnais. J’éprouvais déjà, fugacement, ce serrement au ventre, avant-goût de cette peur primordiale de qui se sait définitivement perdu. Je l’avais ressentie enfant. Mais l’égarement désiré domestiquait la peur. Je m’enfonçai dans la Ville-Feuille, celle qui échappe aux plans, aux guides, aux atlas : depuis plusieurs années déjà, les friches gagnaient du terrain, à mesure que les habitants quittaient l’île en laissant les maisons à l’abandon. A force de querelles d’indivis sans fin. Les toits des maisons en bois ouvertes pour certaines aux quatre vents menaçaient de s’écrouler. La végétation s’emparait des murs, courait les terrasses, mangeait bientôt les intérieurs. Dans le dédale des cases en bois et tôles couraient affolées quelques poules. Le quartier somnolait sous la chaleur. Personne à qui demander mon chemin. C’était un dimanche de plein soleil cuisant. Une dalle en béton dont ne subsistait que le cadre de porte d’une habitation fantôme était envahie de lianes. Un papayer poussait au creux des quelques marches qui en marquaient l’entrée. Des tôles noircies et une grille rouillée disparaissaient presque sous les herbes folles. Je pris un chemin de traverse, une de ses traces ménagées par les habitants à même la végétation pour rallier entre eux des quartiers. Ces traces, inconnues des cartes, devaient être régulièrement entretenues sous peine de disparaitre à leur tour. Depuis quelques temps j’étais hantée par la destruction et la disparition. Je la sentais proche. De part et d’autre de la sente, une végétation dense que trouaient des vestiges d’une vie passée : un sol de faïence bleu et blanc, un ancien four à pain, une vierge à l’enfant face contre terre et tout autour quelques bougies encrassées, des déchets de toutes sortes. Un peu plus loin, un figuier maudit enserrait les restes d’un pont de pierre.
(texte en chantier à nouveau parce qu’il faut bien enchainer…)
J’aime ce texte, où le fantastique transparait, ça ce fait tout en douceur, bravo.
Merci beaucoup Laurent pour ce retour.
Moi aussi, j’aime beaucoup votre texte, très envie d’en savoir plus sur cette ville.
Merci Irène. Moi aussi j’aimerais en savoir plus. Voyons si les autres propositions me permettent de creuser. Quelques textes comme ça avec lesquels je sais que je n’en ai pas fini.
Oui moi aussi Emilie, c’est beau et intriguant. Merci.
Merci Clarence. Je vais tenter d’explorer davantage. Pour voir ce qui advient encore.
Bonjour Émilie
Quelle terrible et passionnante ville-Feuille. C’est vrai qu’on se pose encore des questions et qu’on aimerait bien en savoir plus. C’est intrigant, mais quel plaisir de lecture !
Merci !
Merci beaucoup ! je t’avoue me poser aussi encore beaucoup de questions…
Prise dans le mouvement de cette traversée; l’égarement est Là . L’étrangeté palpable. Merci
Merci Nathalie ! J’espère pouvoir continuer l’aventure en territoire étrange et familier.
J’aime beaucoup l’ambiance de l’île, menaçante et désertée… réveille des choses… ce que vous dites sur la peur aussi, c’est tangible
Merci Françoise ! J’ai associé instinctivement ce « perdu » à cette peur ! D’où notamment le « choisir de se perdre » pour exorciser la peur.
A lecture, je te suggère de parcourir les BD de Comès si tu ne les as pas encore lues, notamment la maison où rêvent les arbres, et aussi peut-être de De Crécy, pour les paysages urbains.
je précise que ça m’a plu, j’aime la patte fantastique. Celle là a un côté très dix-neuvième qui me plaît bien.