Je ne me souviens plus très bien de la piscine municipale. Je ne m’en souviens plus très bien parce que ça doit faire au moins quarante-cinq ans que je n’y ai plus mis les pieds. Ou les nageoires. Je crois me souvenir de certains détails mais je ne sais pas s’ils ont une réalité ou si c’est moi qui ai posé des guirlandes sur les photos souvenirs que j’ai dans la tête. C’est comme ça avec les souvenirs d’enfance, on y intègre des détails qui n’y sont pas pour que la trace mémorielle ait un sens, une logique. Et ces détails prennent la même patine que la vraie image. Une chose paraît sûre, néanmoins. Si j’y retournais, je la trouverais petite, la piscine municipale. Plus petite que dans mes souvenirs. C’est une piscine olympique, elle fait cinquante mètres de long. Mais cinquante mètre quand on a dix ans, c’est bien plus long que cinquante mètres quand on est adulte. Tout le monde sait ça. Je me rappelle qu’il y avait un petit espace où on pouvait boire un jus de fruits ou manger une glace en attendant nos mères après la séance scolaire. Il y avait un baby-foot je crois. Mais je n’en suis pas sûr, je ne sais pas pourquoi je me souviendrais de ça.
Je ne me souviens plus très bien du terrain de handball où notre instituteur en cours moyen nous amenait tous les vendredis après-midi. Monsieur Viguier étant passionné de handball, nous y passions tous les derniers après-midi de la semaine. Même si on avait classe le samedi matin. Le terrain était engoncé entre des bâtiments derrière notre école mais je ne me souviens plus quel chemin on empruntait pour nous y rendre. Il y avait un escalier qui y descendait mais je ne me souviens plus très bien du reste de l’environnement. Ce dont je suis sûr, par contre, c’est que j’adorais ça. Nous adorions cette escapade hebdomadaire, avec mes copains. Ce souvenir flou résonne en moi comme une récompense rituelle, hebdomadaire, programmée. Nous jouions jusqu’à épuisement et Monsieur Viguier arbitrait et s’amusait à nous voir nous amuser. Il y a des gens comme lui qui appartiennent à nos souvenirs et qui gardent un même sourire gravé sur leur visage. Ce sourire en souvenirs, c’est juste l’expression d’une réelle tendresse. Je l’aimais bien, Monsieur Viguier. Et il n’y a aucune raison qu’à l’époque, il eut souri à tout bout de champ.
Je ne me souviens plus très bien de la cour de l’école. Des platanes, un préau. Je ne me souviens plus très bien si le sol était goudronné ou si c’était de la terre. J’ai tellement vu de cours d’écoles par la suite que je crois que j’ai superposé des images qui n’appartiennent pas à ces souvenirs. Ils y appartiennent aujourd’hui. Il y avait de l’ombre, beaucoup d’ombre. Et des feuilles par terre, beaucoup de ces feuilles brunes et craquantes lorsqu’elles sont sèches. Et des boules, celles tombées des platanes, que nous nous lancions lors de batailles rangées qui finissaient, invariablement, dans le bureau du directeur. Je ne me souviens plus très bien des punitions mais je me souviens de ces petits moments de bonheur. Dans mes souvenirs, ils sont enregistrés dans la case « petits moments de bonheur ». Possible que la nostalgie ait influé sur mon choix au moment de ranger ça dans ma tête. C’est certain même. Je me souviens que parfois, l’instituteur en charge de nous surveiller pendant la récréation, nous autorisait à jouer au foot. Et que moi, invariablement, je quillais le ballon dans un arbre. Je ne me souviens plus très bien de ces matchs mais ça, je m’en souviens.
Je ne me souviens plus très bien du grand terrain de rugby sur lequel nous allions parfois avec la classe. À l’époque, nous y croisions de temps en temps des étudiants des Arts et Métiers voisins qui s’entraînaient. Je me souviens que certains avaient un casque en toile, ou en cuir, sur la tête. Je ne suis pas sûr de me souvenir de ça, peut-être que cette image n’appartient pas à ce souvenir. C’est une image qui pourrait dater de quatre-vingts ans ou cent ans que j’aurais piochée dans un vieux bouquin. Je ne suis pas si vieux. Ce dont je suis sûr, c’est que ce terrain n’existe plus depuis belle lurette. Des logements pour les étudiants des Arts et Métiers ont été construits à la place. Je ne me souviens plus très bien les jeux qu’on y pratiquait. Je ne me souviens plus très bien de ce qu’il y avait autour. On devait y voir ma maison depuis cet endroit mais je n’en ai pas le souvenir. Peut-être ce souvenir est-il encore classé quelque part dans ma tête et qu’un simple défaut d’indexation m’empêche de retrouver. Un jour, peut-être, alors que je chercherais à me souvenir d’autre chose, je tomberais dessus. Et je me dirais que je ne sais pour quelle raison je me souviens de ça mais quand j’étais petit, depuis le terrain de rugby des Arts et Métiers, on voyait ma maison.
tu « quillais » le ballon dans les arbres, tu dis ? ça vient d’où, ça, »quiller », à ton idée ? (ça veut dire coincer ou quelque chose de ce sens sûrement ?) (je me souviens que la cour de l’école était en goudron,et que le type dont je me souviens parfaitement du nom (T. mais on ne va pas balancer non plus) m’a poussé dans le dos et que je me suis ramassé sur les dents de devant – je me souviens ne pas lui en avoir spécialement voulu d’ailleurs – pour d’autres, oui – le dentiste a limé les dents et elles sont restées légèrement arquées à cet endroit- depuis) – ceci dit, je ne crois pas trop à ta façon de ranger (mais ça, c’est : chacun.e fait comme il peut en ces matières, hein) (merci)
C’est drôle ta question. Enfin, non, c’est pas drôle, c’est juste que ça m’a mis le doute. Je croyais que tout le monde connaissait ce mot, quiller. Qu’il faisait partie de notre langue. Quiha en provençal, veut dire percher. Quiller un ballon dans un arbre, c’est le coincer dans les branches. En vérité, je croyais sincèrement que ce mot était sorti de la région, qu’il avait été adopté par le français. C’est pas le cas, tu m’as appris quelque chose. Merci pour ton passage et pour ta question.