"Le Rassemblement national (RN) réalise une percée historique en faisant élire 89 députés dans cette nouvelle Assemblée et devient, hors coalition, le parti d’opposition qui compte le plus d’élus. Pour la première fois lors d’un scrutin majoritaire sous la Ve République, le parti d’extrême droite dépasse aussi largement le seuil des quinze députés nécessaires à la constitution d’un groupe parlementaire, ce qui lui permettra de peser davantage dans les instances du Palais-Bourbon et le travail législatif."https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/19/resultats-des-legislatives-2022-la-coalition-presidentielle-en-tete-mais-loin-de-la-majorite-absolue-selon-les-premieres-estimations_6131077_823448.html ; Me souvenir avant d'oublier
Je ne peux pas. Du nom. De la rue à Colombes les Vallées. De l’immeuble. Du premier. D’une fenêtre. Du grillage. Des enfants. De leurs mains. De leurs yeux qui regardent. Me souvenir. Ni de son numéro. Ni de la gare à Colombes les Vallées. Ni de ces rues. Je ne peux pas. De la mère. De ses vingt cinq ans quand elle marche. Me souvenir. Des aiguilles aux talons. De ses hanchent qui balancent. De ses cheveux noirs. Et du vent. Je ne peux pas me souvenir. De son chant. De sa mémoire qui flanche. De la pluie sur Nantes dans cette rue. Quand elle rentre. De son sourire plein de dents toutes blanches à Colombes les Vallées quand elle chante. Et de ces hommes qui la regardent. Je ne peux pas me souvenir. De ses enfants. « ses chéris » dans ses jupes trop serrées et du parfum qu’elle porte, un « Vétiver ». Me souvenir. Ni quand devenue blonde elle sera maigre et presque triste, je ne peux pas. Elle dans la rue des Vallées qu’elle n’a jamais prise. Elle dans l’avenue Pauline tenant “ses chéris” par la main; elle dans la rue Felix Faure ou dans L’avenue St Charles, je ne peux pas me souvenir. Ni de la rue Pierre Geoffroix. Ni de la rue Henri Martin. Mais du Docteur Martin je m’en souviens, qui montait un étage et suait. De sa sacoche. De l’éther. Des aiguilles. Des boutons qui grattaient. De la toux. Du sirop. Des oxyures qui grattaient. De la fièvre. Du songe noir avec des montagnes qui se penchent. Des albums collants de purée, en sachet ou maison, et du jambon mouliné « Moulinex » dans l’immeuble de la rue à Colombes dont le nom a glissé. C’est enfuit. Enfouit sous d’autres noms. Barbès, Alésia, Anvers… Je ne peux pas me souvenir. Un étage. Deux trois pièces. Papier peint. Trois fenêtres. Rue et cour. Me souvenir de la chambre au grand lit, je ne peux pas. Du lit superposé. Du panier à épices sur la table à manger. Me souvenir. Ni de l’étendoir à poulies et du linge qui goutte (les chaussettes surtout) et mouille les cheveux dans la salle d’eau avec baignoire sabot. Je ne peux pas me souvenir du nom de la rue, ni de son numéro quand il rentre. Le père qui travaille aussi les dimanches et rentre tard le soir, même le matin, avec des fariboles: un foulard; une bague; des joujoux… Ni me souvenir du téléviseur dans son meuble noir qu’a fait livrer le père (normal il y travaille à la télé), le premier. Des images noires et blanches dans le téléviseur je ne peux pas me souvenir. Ni de La piste aux étoiles, me souvenir. Ni quand la mère s’exclame en voyant le nom du père qui a fait les étoiles sur l’écran. Je ne peux pas me souvenir de leur noms qui défilent sur l’écran: Bouglione, Margaritis, Lanzac, Hilda… ni du parfum de la mère qui s’est faite belle ce soir là pour sortir. Ni de Vibeke qui garde les enfants et n’aime que le fils. Je ne peux pas me souvenir si tout cela est aussi vrai que la mort quand elle entre dans leur chambre par le combiné du téléphone et qu’il descend dans la rue sans nom avec le haut du pyjama. A Colombes les vallées. Une nuit.
Quelle claque ton texte Nathalie, j’ai tout vu, tout entendu, tout senti. Merci à toi et bon lundi.
Quel pouvoir magicien votre « je ne peux pas ». Merci Nathalie pour cette plongée en émotions discrètes. Et merci aussi de votre codicille politique qui marque le temps pour mémoire. Merci.
parfait et poignant
C’est envoûtant, incantatoire et poignant comme dit Danièle. Et c’est la structure exacte comme une forme de défense et cri de révolte contre tout ce qui n’aurait pas dû être. C’est terriblement beau !
« Mais du Docteur Martin je m’en souviens, qui montait un étage et suait. De sa sacoche. De l’éther. Des aiguilles. Des boutons qui grattaient. De la toux. Du sirop. Des oxyures qui grattaient. De la fièvre. Du songe noir avec des montagnes qui se penchent. Des albums collants de purée, en sachet ou maison, et du jambon mouliné « Moulinex » dans l’immeuble de la rue à Colombes dont le nom a glissé. « . Ils défilent vite vos personnages dans ce récit et pourtant on les reconnaît, c’est comme un film en accéléré avec le bruit de sucement sinistre du révolu qui réembobine… » Je ne peux pas me souvenir si tout cela est aussi vrai que la mort quand elle entre dans leur chambre par le combiné du téléphone et qu’il descend dans la rue sans nom avec le haut du pyjama. A Colombes les vallées. Une nuit. « . Rideau de plomb qui tombe et coupe le son. La voix qu’on entend est exangue. Merci pour ce texte Nathalie !
exsangue, la voix… ( je n’ai pas pu corriger la faute, encore une manip qui m’échappe des mains, c’est fatigant).
Bonjojur Nathalie,
c’est un orage ce souvenir qui ne peut pas, et nous haletantes, (un enregistrement ? ce serait bien de t’entendre )
Catherine je crois que j’aurais des difficultés à dire ce texte. Merci de tes mots.
(un vétiver ça ne m’étonne pas du tout – c’est mon préféré, tu lui diras) (n’oublier jamais)
Ce rythme incroyable ! Magnifiques les débuts de phrases possibles que le point vient interrompre sèchement.
Splendide dès le début par l’intensité, et poignant dans le crescendo ! Merci Nathalie.
Clarence, Ugo, Helena, Marie-Thérèse, Daniele, Piero, Catherine, Xavier, Michaël. Ce matin je n’avais pas trop envie d’y aller vers ces creux de mémoire. Vos commentaires me touchent beaucoup . Merci.
Magnifique travail rythmique, Nathalie !
Ton beau texte nous prend pour ne plus nous lâcher.
Merci pour toute cette émotion !