Je me souviens peu de cet appartement, je ne le vois que de l’extérieur, je vois son balcon équipé de grilles noires, il est au rez-de-chaussée. Je vois l’immeuble en brique beige, je vois la cité HLM dont il faisait partie. Je me souviens d’avoir joué au foot sur l’espace vert qu’il y avait entre les immeubles. Je me souviens des trajets à pied pour aller à la maternelle, je tenais la main de mon grand-père. Je me souviens que la maîtresse de la maternelle avait voulu nous initier à la danse, ce supplice. Mais je ne me souviens d’aucun instant, d’aucun objet, d’aucun décor, lié à l’intérieur de cet appartement. Je ne me souviens d’aucun moment échangé avec les gens qui vivaient là, que j’aimais et qui m’aimaient. Dans cet espace clos, tout a disparu. J’imagine qu’il y avait un lit où je dormais, dans une chambre, une cuisine où je mangeais avec les autres, des toilettes, une salle de bain, un salon avec une télévision. Je ne vois aucun jeu, aucun repas, aucun couché. Si quelqu’un me disait, tu es un robot, on ne t’allumait qu’à l’extérieur de ce lieu, je pourrais le croire. J’ai tellement intégré cette mémoire vide, qu’elle fait partie de moi. Cette remise à zéro partielle, c’est une barrière protectrice, un refuge. Dans cet espace vide, il n’y a rien, juste du blanc, c’est apaisant le blanc.