J’ai peu de souvenirs de Nantes de ces deux années-là. Des points de repères vides de vie et de mémoire. Géographie restreinte de mes trajets quotidiens de la rue de Verdun au lycée Clemenceau. Et sur la route : la Cathédrale, le Cours Saint-Pierre, le Musée des Beaux-Arts et au bout, le Jardin des Plantes. Une mémoire de plans et de cartes, étriquée, évidée, ignorante du monde et de la vie. Sinon, il ne me reste rien. Ou presque rien. De ce qui fait le pouls d’une ville, je ne me souviens pas : passants, âmes errantes, chemins de traverse, déambulations, bifurcations, explorations, transports en commun, bus, tram, train, quartiers, cafés, promenades, flâneries nez au vent pour goûter l’humeur de la ville ce jour-là. Je ne sais absolument rien de ses nuits. Du peu de souvenir, je garde du gris, du vent, de la pluie, des pavés, du vert, des arbres dénudés, des carrefours, des passages piétons, des magasins, des boulangeries, des libraires, des ruelles et grandes avenues, le nom de quelques lieux mythiques, la Cigale et le Théâtre Graslin. Du peu de souvenir, je garde de rares pas de côté : un appartement de l’autre côté du Château, le cinéma à dix francs, une rétrospective Woody Allen, Shakespeare et Kenneth Branagh. Je garde des maisons bourgeoises, des façades muettes, des places vides, des portes qui claquent, des escaliers, des clés dans les serrures, des parapluies qui se retournent, de larges trottoirs, des panneaux d’affichage. Du peu de souvenir, il ne me reste rien. Mais comment engranger des souvenirs dans une ville où l’on a finalement vécu sans y vivre ? Et pourtant, souterrainement, modestement, le début de l’élargissement.
1. "En classe, bâillant sur d'ingrates versions gréco-latines, ou obligées de méditer sur les insomnies de Marcel, j'entendais le cœur de la vie qui battait, battait loin de ces serres d'ennui. Le monde existait aux alentours. Il vibrait. Mais comment trouver la route qui y menait ?"
Maryse Condé, Le Cœur à rire et à pleurer.
J’aime comment, malgré le peu de souvenirs en effet, quand même il y en a mais peut être pas lumineux, il y a comme une résilience la phrase de fin magnifique.
Merci Véronique pour ta lecture, notamment de la dernière phrase, si importante en effet.