Juillet 1972 Boulevard Saint Michel. Il est blond, des yeux très clairs, fendus, une peau très blanche, l’air perdu avec son pantalon pattes d’éph’ boutonnés au bas des jambes ramené par sa mère de chez Tati, cet empire du luxe français vu de Pologne. C’est son premier jour à Paris. Il n’en revient pas, il n’en revient pas de toute cette opulence, ces vitrines innombrables, lumineuses, colorées, regorgeant de marchandises, hurlant le luxe, ses potes de Katowice ne le croiraient pas, et la beauté des filles, leur allure nonchalante, leurs tenues, leur nez longs, les garçons, il va enfin pouvoir se laisser pousser les cheveux, il va enfin pouvoir rencontrer Pablo Picasso, qu’il croit, et lui montrer ses dessins. C’est son premier jour en France, ils n’ont emporté que le strict nécéssaire, il a besoin de papier, de crayons, l’amie de sa mère qui leur prête un appartement rue Gay-Lussac lui a indiqué le magasin Gibert-Jeune, et glissé un billet de 10 francs dans sa poche. Il est dépassé par Hélène, jeune bachelière au pas pressé qui se rend aussi chez Gibert-Jeune pour y vendre ses livres de terminale maintenus par une sangle rouge rayée noir qu’elle tient dans ses bras, sa gibecière en cuir fauve ballotte sur les hanches de sa robe indienne, elle est poursuivie par Stéphane qui nage dans son jean et l’a abordée 100 mètres plus haut, elle ne lui répond pas, pas moyen de s’en défaire, c’est tout le temps la même histoire, elle presse le pas, eh ben quoi la libération sexuelle, t’as pas entendu parler ? t’as un cul et t’en fais quoi, connasse, tu le gardes au frais pour le mariage ? Mal baisée va ! Elle est rouge pivoine, il finit par laisser tomber pour une blonde qui remonte le Boul’mich T’as pas envie de boire un verre ? Sorry ? English ? Américaine ? Swedish ? Suzanne, 1,54m , les cheveux grisonnants et les yeux cernés est égarée, elle s’est égarée, elle se cogne à la foule, elle devrait être à la Samaritaine pour acheter des pyjamas à ses filles, comment s’est-elle retrouvée ici dans ce quartier étudiant qu’elle ne connaît presque pas? Elle n’en a aucune idée, d’autant qu’elle se croit à Nice et demande son chemin pour la place Masséna , elle donne un billet de cinquante francs à Felipe qui n’en revient pas, c’est la unième fois qu’il joue le même air des Quilapayun à la flûte de pan, il commençait à fatiguer, notamment Eric, si beau, si grand, si camé, occupé à tournicoter aux abords de la fontaine Saint-Michel pour accoster les passants de sa génération et leur vendre son herbe, de la bonne, pas coupée et aux plus cool, il essaie aussi de refiler des cachets… Il a enfin trouvé le rayon beaux-arts de Gibert-Jeune en demandant son chemin dans un sabir franco-hispano-slave ponctué de gestes théâtraux, il a été pris de tournis face à la multitudes articles, a choisi un bloc de papier parmi des dizaines et des crayons caran d’ache, 2B 3B, 4B et 5B, il dessine gras, parmi des centaines de crayons aux tracés incroyablement plus voluptueux que tout ce qu’il a jamais connu. Comme ivre, il va à la caisse, fouille dans sa poche. Il a perdu ses 10 francs.
Pas de chance pour les garçons, qu’ils soient touchant, agaçant ou débrouillard, bel ensemble,
Oui c’est vrai mais les filles sont pas gâtées non plus, merci Catherine