Je n’aime pas la foule, je deviens huître, mes yeux ne savent pas accrocher les pas fuyants, la panique grande, il a fallu des années de calme pour admettre que ce que je pensais acquis n’existait pas, travailler en collectif, vivre en grande ville, prendre les transports, jusqu’ici subis. Des arbres les oiseaux écoutent le bruit du rien.
Dans la salle de vote en plein repas dominical plus d’assesseurs que de votants. Je me demande pour qui vote celui-ci. Son sourire me dit que peut être le faux rassemblement n’aura pas main basse, je me trompe évidemment, mais j’espère, si les sourires ne veulent pas dire je t’accepte si juste polis si pas de décryptage sauvage alors je perds mes sens.
Assis mon quartier engagé en politique. L’avantage comme l’inconvénient des villages on se connaît même sans savoir, on s’entend même sans se voir, on croit même comprendre ce qui se chuchote bas.
Chaque jour ils se retrouvent, d’abord trois, ils marchent pour garder forme, une poignée de maisons les séparent. Je la vois qui les attend, froid, soleil, elle est là, elle voit mal, elle s’appuie sur canne mais guiboles encore vaillantes. Lorsqu’ils arrivent, elle sourit, ce sourire dit le déterminant pour rester vivant, l’autre qui soutient. La vieillesse se supporte à plusieurs, les enfants ne comprennent pas. S’il n’y a pas ça, il y a quoi ? Les enfants veulent protéger comme les parents avant ça, ils oublient que la protection n’est pas l’envie. J’aimais l’observer par la fenêtre. Ce sourire qui entraînait les pas, qui plusieurs fois par jour créaient causette et prolongation vie. Un banc rouge devant sa porte, des bancs rouges le long du chemin pour les arrêts sur image des corps fatigués. Elle guette et ce sourire quand ils sont là. Les enfants ont chassé les souvenirs et fermé la maison, elle n’attend plus, je me demande comment elle reste vivante maintenant sans sa maison et son sourire.
J’entend les voix, je les reconnais, j’aime les sonorités amicales qu’elles dégagent, je sais qu’elles le sont, soucieuses, présent à l’autre, intéressées. Leurs voix apaisent l’animal blessé, faire partie d’un monde d’où je reconnais des voix dans la rue sans me sentir envahie mais pleine. Je devine les sourires sur les voix. Le voisinage anonyme n’existe plus ici et même si on se passerait de certaines voix d’autres construisent des ponts. Les ponts devraient être notre unique souci vie.
Le corps las claudique, cheveux gris corps lourd, elle se déplace efficacement, malgré la détermination la fatigue derrière le pas. Je l’imagine charge de famille vieillissante, s’occuper des plus près de la mort, les corps usés, je l’imagine tendre, les mots bas pour tempérer la brutalité parfois du soleil, je l’imagine debout pressée. Elle marche vite dans les rues du village, coup de vent, efficace.
Le regard vers le bas il te croise et fais semblant ne pas te connaître, tu sais que voisins tu sais qu’handicap, ton bonjour ne percute pas de réponses, j’essaie de ne pas interpréter, ne pas penser à la place, ne pas me dire que le problème c’est moi, peut être que oui peut être pas, parfois juste on ne sait pas faire alors on préfère regarder en bas.
Le chien gémit à la journée quand ses maîtres partis et l’autre de lui répondre en aboyant aboyant, si tu passes devant les chiens te disent que tu n’es pas le bienvenu. Pas le bienvenu dans la rue ? Les maîtres sont épuisants, les chiens adossés à la main qui les caressent ne savent pas dire autrement qu’en hurlant. Le corps ressent l’agression du maître qui se satisfait d’un chien à cout moment alors que fidèle cote à cote il pleure la solitude des journées sans caresses.
Peut-être que tous les corps pleurent sans caresses ?
J Hendrycks, ce texte est très émouvant et sensible.
J’ai beaucoup apprécié.
Merci pour ce beau moment de lecture !
» Lorsqu’ils arrivent, elle sourit, ce sourire dit le déterminant pour rester vivant, l’autre qui soutient. La vieillesse se supporte à plusieurs, les enfants ne comprennent pas. S’il n’y a pas ça, il y a quoi ? »
« Les ponts devraient être notre unique souci vie. »
« Peut-être que tous les corps pleurent sans caresses ? »
Pour quelqu’un qui se présente comme non grégaire, votre sensibilité aux êtres est stupéfiante. Votre texte est construit comme une caresse invisible qui n’insiste pas. Elle reste à la portée de celle ou celui qui lit, qui vote ou qui promène son chien, le portrait de la vieille dame me fait monter les larmes aux yeux.
Je n’aime pas la foule, ni les troupeaux mais j’aime les gens. Le collectif m’use mais je crois encore en l’action commune. Je suis sensible à l’alterité meme si parfois sa brutalité m’écorche.
Je suis éducatrice spécialisée ceci peut etre cela.
Merci pour vos mots qui me touchent.
Je parlais du texte « Sans caresses » de J Hendrycks que je trouve formidable !