Lui, c’est ce costume sombre marine; les épaules étroites roulées vers l’avant, des mains aux doigts courts qu’il croise et décroise. Une fine moustache lui a poussé, il la taille avec de petits ciseaux. En faisant attention. Sa peur des lames. Sa prudence pour tout. Pour rien. Cette moustache comme un trait d’ombre entre la bouche et le nez. Une toquade?
Elle, ce tailleur ajusté, un foulard de soie formant une simple boucle autour du cou. Il se souvient des images: une queue de cheval et un corps sans forme dans une robe vague; là c’est une femme, les cheveux coupés court, amaigrie, qui se tient en tailleur grège dans le fauteuil vert à accoudoirs velours; une abeille brille au revers du col de la veste.
A trente ans elle évite toujours de marcher sur les lignes du trottoir; quand elle court c’est plus difficile. Elle court deux fois par semaine, avec Pierre ou sans lui. Si elle peut, c’est juste juste une histoire de timing, elle va dans la forêt à vingt kilomètres, il y a un train gare du nord. Pour le poste à Berlin elle attend; elle se ronge les ongles, un sur deux en attendant. Malgré le vernis.
Dans sa tête il y a Zoé. Depuis qu’il s’est luxé l’épaule il ne boxe plus. Il court. Après il fume. Quand Pierre a les poumons bien ouvert il allume une cigarette. Il se rase le torse, ce qui n’a rien à voir, ou presque. Son tatouage est abstrait et sa cicatrice en dessous très concrète. L’année dernière il s’est inscrit en chinois à Paris-3, il travaille à mi temps dans une agence de voyage spécialisé dans le trekking. C’est là qu’il a croisé Zoé la première fois.
Le gardiennage, a elle a ça dans le sang depuis toute petite; elle voit son corps comme une force. Depuis toujours elle dépasse d’une tête ; dans les transports c’est flagrant. On l’engage pour sa rapidité et son bagout. La tchatche ça compte aussi. Avec les mots tu retournes une situation. Dès qu’elle le peut elle va au cinéma. Sinon elle regarde les films sur sa tablette.
Il l’a lu à cause de la radio comme la plupart des choses qu’il lit. Son boulot de veilleur de nuit dans un hôtel des Halles lui laissait du temps ; il a raccroché; il y a un mois. Depuis il traine chez elle. Ce livre il aimerait bien le finir. L’autre jour par ennui il a tué un pigeon avec une pierre.
C’est pas son père qui lui a offert le vélo pour ses neuf ans. Rouge, elle a choisi et tout l’immeuble a participé. Il roule sur l’esplanade de l’église et dans les rues alentour. Au square il a appris à jouer aux dames; maintenant c’est les échecs qu’il aime. Et les maths. Il monte le vélo dans l’appartement et il le gare sur le balcon. Quand il regarde le ciel il pense à l’Afrique.
Bonjour Nathalie,
tes portraits, on dirait des diapositives à l’ancienne, de celles qui faisaient schhhhhclick avant d’aparaitre et…. une surprise à chaque nouvelle image ! rangées pourtant, je dirai de la plus froide à la plus chaude,
Oh merci Catherine .ça me plait cette idée de diapositives ( il y a le livre de Xavier Georgin 23 poses manquantes https://www.amazon.com/Poses-Manquantes-Ville-Loin-French/dp/B099C3FRWS qui est super)
Merci pour ces portraits Nathalie, bon dimanche.
Merci beaucoup d’être passée lire Clarence