Pakistanais je dirais, pas grand, pas gros, pas mince, souriant, accueillant, avenant, on lui parle en entrant, on lui demande, surtout elles, les dames âgées entre les allées serrées avec un caddie à traîner derrière soi quand on n’a plus de poussette pour ranger les courses en dessous, pas de chien non plus, parce qu’alors ce serait trop d’encombrements, il ne faut pas tomber, surtout ne pas tomber, quand on est un château branlant, comment on fait, Docteur, pour ne pas tomber, vous en avez d’autres comme celui-là des conseils, alors on marche prudemment, c’est-à-dire avec la peur tout le temps dans la tête dans le corps, la peur de tomber, la peur de ne pas faire assez attention, son magasin de tout et de rien c’est le seul lieu de vie dans le village dans la rue par ce lundi de Pentecôte, parler à cet homme c’est adresser la parole à quelqu’un dans la journée, alors il répond, il salue, il sourit, et même à l’enfant dans la poussette il sourira, dans le désarroi d’un temps qui semble s’être arrêté depuis la terre battue de la place Victor Mottard, avec cette heure à tuer qui ne passe pas, et la rue Tiyou arpentée, une rue où il n’y a rien à voir, à part cette main fine et gracile qui sort du grillage d’un jardin à l’abandon et tout le reste du corps de la statue de plâtre effacé par la végétation, une main albâtre qui interpelle, une main tendue, une main qui indique quelque chose ou rien, qui n’indique plus rien, que la fin a eu lieu, qu’il n’y a plus rien à voir, plus rien à décrire, que tout a été écrit.
Costaud, la quarantaine, cheveux grisonnants, fournis, à côté de son cherokee noir, brillant sous le soleil mitigé, garé sur la place Victor Mottard et peut-être que ce véhicule fait pour avaler sans heurts les nids de poule, mais pas les coups de griffe. Une clé a été promenée tout le long de la tôle métallique et ça sert un peu le cœur pour lui qui astique et qui frotte comme si l’huile de coude allait pouvoir réparer quelque chose à cet acte de vandalisme. Vêtements de travail et chaussures d’entreprise, pas vieux habits sortis du placard pour bricolage du dimanche, il doit porter ceux-là tous les jours de la semaine. De temps en temps il interrompt son polissage pour boire à même la canette une boisson indéfinie. Il applique une ventouse sur le bord du coffre et ça fait un bruit régulier. Son bras droit se gonfle le t-shirt au niveau de la manche au moment où il tire. Il répète le mouvement. Il n’a pas l’air satisfait. Il n’est pas content du résultat. Il ira la faire repeindre ou plutôt la recouvrir parce que ça coûte moins cher. Ca tombe vraiment mal, avec les vacances qui arrivent. Il rentre au pays.
Elle attend le bus. Sur le dos un étui de guitare porté comme s’il s’agissait d’une contrebasse. L’arrêt de bus est juste devant une série de maisons mitoyennes toutes collées les unes aux autres avec la façade à même un trottoir étroit. Au poteau signalant l’arrêt entre la rue et la façade, à peine la place de faire le tour avec le corps, une poubelle est accrochée. Elle déborde. L’attente est longue, le soleil tape quand il se montre. C’est lourd dans son dos et elle n’a rien mangé à midi. Pas le cœur avant l’audition. Elle y va seule. Elle n’a plus l’âge de demander à sa grand-mère de l’accompagner. De se glisser discrètement dans la salle comme autrefois. Les autres ils viennent avec leurs parents, certains avec leur mère. Les siens ont jamais voulu. Si elle avait pas choisi la guitare classique, mais là ils y connaissent rien. Elle va arrêter. Elle ne supporte plus ces examens. Elle décapsule une canette et s’assied sur le seuil de marbre de la maison juste derrière la poubelle. Elle a bien le droit, elle ne fait rien de mal. Et les gens de là, ils doivent avoir l’habitude. C’est moins pire que la poubelle qui dégueule son surplus presque sur leur seuil. Elle a envie de vomir. Le coca, c’est bien pour les nausées.
(je confirme pour le coca) (parfait – tu aurais pu en faire plus de trois – mais parfait) (merci)
Je suis touchée de ton passage, Piero. Merci à toi. Irai te lire.