En uniforme bleu sombre et avec casquette elle fait les cent pas lentement et toi ça t’embête un peu tu préférerais qu’elle s’éloigne mais elle raconte les histoires de sa sœur et c’est compliqué les histoires de sa sœur, elle fume sa cigarette et l’écrase du pied parmi les tombes puis recommence maintenant sur une amie de sa sœur qui lui a téléphoné à propos de ces problèmes de sa sœur. Eux les gamins ce n’est vraiment pas un problème de rire et courir puisqu’à la sortie du collège c’est un raccourci pour remonter et tu n’as pas les voitures : sans doute qu’ils le savent depuis longtemps où est le robinet et lequel d’entre eux prendra de l’eau à deux mains pour les éclabousser qui s’enfuient, l’eau des morts. Ici tu te souviens bien à cause de Tzara si humble dans l’herbe ce monsieur voûté et aminci qui amenait un ployant et restait devant la tombe assis immobile et longtemps : il y a deux noms maintenant sur la dalle en poussière de granit chinois reconstitué. Les deux types en camion et le bout de plastique coloré qu’ils ont mis autour du caveau qu’ils agrandissent ou réparent : on doit préalablement se doter d’une autorisation administrative pour la réduction des restes, mais deux qui travaillent et un qui regarde : il pense quoi en cet instant celui qui regarde. Tu es devant Duras tu regardes les bouquets de stylo-bille une fois de plus tu te demandes si là-dessous ils lui ont laissé ses lunettes et ces deux filles âge étudiant ou juste après, trois fois qu’elles passent à un mètre de toi derrière : parce qu’elles attendent que tu aies fini mais toi non, aucune raison de te hâter si tu ne le sens pas, ou bien parce qu’elles cherchent l’endroit et ne trouvent pas, un peu en recul contre le mur, toi aussi au début tu as cherché, tu pourrais leur faire signe que c’est ici mais non, ça se mérite de trouver. Il y a des tombes à succès comme les chansons pareil et sur deux ou trois de celles-ci la mode cette année-là c’était de se mettre grosse couche de rouge à lèvres et de l’appliquer, non tu n’as jamais aimé ça, ça t’est vaguement indifférent pour les tombes à succès mais quand tu en as trouvé sur la vieille dalle blanche où Baudelaire est en sandwich entre sa mère et son beau-père non. Il y a cette rue qui sépare les deux moitiés du cimetière en deux et régulièrement tu vas dans l’autre aussi, Joseph Kessel pas beaucoup qui viennent mais dans cette étendue de ce côté-ci beaucoup plus indifférenciée si on marche vers Maupassant on le loupe, ou bien on passe tout auprès sans rien voir même avec cette double volute de fer forgé qui peut servir de repère : ces gens avaient fini par te demander et oui, bien sûr tu savais et leur avait indiqué, leur demander ce qui les rattachait à lui mais non, c’est peut-être simple curiosité touristique pourtant non, le pire c’est qu’à peine tu t’étais éloigné de cinq mètres tu te rendais compte leur avoir indiqué une direction pas exacte, justement l’erreur que si souvent tu avais faite. Il y a celles et ceux qui déposent sur la tombe de Juli Cortázar et Carol Dunlop un petit gravier blanc : pris seulement là dans l’allée tu crois ? Parfois tu as attendu tout auprès mais jamais réussi à voir. Sur la tombe de Baudelaire par contre c’est sûr : ces fleurs déposées elles viennent simplement de tombes récentes, dans le carré d’à-côté. Ce type avec son sac à dos et qui avait attendu à une dizaine de mètres si patiemment puisque ce jour-là tu faisais des photos 360 : forcément il écrivait, non. Forcément vous auriez eu à vous dire, non. Mais forcément on ne s’adresse pas la parole, non. Et des fois, adossé à cet arbre dont les racines plongent dans la tombe de Christophe Tarkos, tu aurais la tentation de le considérer comme un personnage là avec sa propre histoire : ça se peut tu crois ?