La station la plus ancienne, dont il ne reste que des ruines, des images fugitives qu’aucune photo, qu’aucun racontement hérité ne viennent corroborer, appelons-la : l’Amnésie de l’enfance. On débouche là au terme d’une longue obscurité dans un tunnel chaud, étroit et sombre — débouche, oui, comme on tomberait d’une conduite d’eau en béton dans une rivière, comme aussi on dit en langage d’éclairagiste pour signifier qu’on va éclairer un espace ou une personne de telle manière qu’on puisse le voir nettement du public — dans un trop plein de lumière qui surexpose à jamais les souvenirs.
À ce stade, il est encore possible de passer par un trou de souris, où l’on suit une souris, puisqu’on a une souris et aussi les baskets phosphorescentes de Bobby Potemkine jusqu’au dédale des pièces de la même maison d’enfance mais à hauteur d’enfant renforcée, obligée, comme on doit à chaque instant corriger la perspective quand on dessine un raccourci parce que la raison s’oppose à dessiner ce que pourtant on a sous les yeux tel quel : pied énorme et directement tête minuscule du Géant étendu de tout son long. C’est sûrement avec ce pied que la souris est tombée nez à nez et nous, avec Bobby, toujours en cortège : les aventuriers du chausson perdu. Mais au départ de l’Amnésie de l’enfance, on peut aussi opter pour la voiture surchauffée et chargée comme une diligence de la Frontière pour se retrouver après un voyage interminablement court à la Californie du Sud :
En sautant simplement la grille, on peut accéder à l’enfance de la soigneuse, de l’autre côté de la Méditerranée.
Il y a de ces passages secrets dans les jeux vidéos qui enjambent d’un seul coup d’un seul plusieurs niveaux, plusieurs paliers. Qui va piano, attend simplement le passage d’un fait d’hiver qui l’emporte pour toujours dans son grand SAC à triple meurtre et nous voilà à Gand, la bien-aimée, la ville sans polar. Ce voyage-ci prend de nombreuses années sans qu’on s’en soit aperçu. Il passe par Guermantes, comme Proust et Fourniret et l’on ne sait pas trop pourquoi c’est ici, à Gand que tout devrait se résoudre… On y va pour tourner en rond, entre quelques lieux et particulièrement le Museum Dr Guislain,
Autrefois… à peine a-t-on douté de ce mot qu’on se retrouve à la case départ de l » Amnésie de l’enfance, pris dans sa pelote de laine, comme un chat on est au Fil :
Bien arrimé dans son Amnésie de l’enfance, on s’aperçoit que celle des autres est à deux pas. On y va à pied, de l’autre côté de Valenciennes comme du miroir et c’est Val en signesdéjà. Mais alors on peut tout aussi bien sauter à pieds joints dans le trou du lapin, qui se confond avec un arbre creux et le monde d’Alice chut flotte tout autour, meubles et maisons en suspens.
Sur un coup de tête, il est vingt-cinq ans plus tard, et le petit qui parlait clown joue au monsieur sur les traces de La Chenille (là, je résume sévèrement, mais le temps nous tient). On avait pris un train, quitté Paris, vu du pays jusqu’à Jonzac. Il n’y avait pas grand-chose à se remémorer — un lycée, un appart de fonction, un parking, un rempart qui s’avéra à la revoyure un château — mais en se creusant la tête et le net, on y est resté deux mois. Sauveterre…
A propos de Emmanuelle Cordoliani
Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires.
Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie.
Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com
4 commentaires à propos de “#40jours #08 | Mondes anciens”
Bon, là, il y a du Taf, et je ne vais pas pouvoir survoler à l’arrache texte très structuré et copieux, mais déjà : »Même mon grand-père qui boite — je ne sais pas encore cela, qu’il « boite » et quand ça n’a pas de nom c’est simplement sa façon, pas d’infirmité, de longue douleur familière, de mépris dans la bouche de sa mère — » qui rejoint immédiatement le texte que je viens de lire Sans caresses. Je n’ai pas mémorisé le nom mais je vais l’indiquer. C’est le fond qui crève le plafond de la forme, car c’est l’histoire qui touche, bien avant la façon avec laquelle c’est raconté. Bien ça compte, mais l’anecdotique a ses limites puisqu’il est inépuisable dans toutes nos vies. Je ne dis plus Merci ! Je dis Encore !
Merci pour la lecture et la référence. Je vais y aller voir. Pour la forme, je tourne autour de cette question de parler l’enfance, de parler-clown… Je tourne.
Quelle maîtrise des mots et ce choix de présentation du texte… un régal mais à lire plus de deux fois pour en découvrir tous les trésors et à voix haute pour mieux l’apprécier. Merci
Merci ! Encore un grand chantier en cours : je n’ai parcouru pour l’instant que la page de gauche de ma cartographie. L’exercice fait beaucoup de bien pour se remettre les idées au clair.
Bon, là, il y a du Taf, et je ne vais pas pouvoir survoler à l’arrache texte très structuré et copieux, mais déjà : »Même mon grand-père qui boite — je ne sais pas encore cela, qu’il « boite » et quand ça n’a pas de nom c’est simplement sa façon, pas d’infirmité, de longue douleur familière, de mépris dans la bouche de sa mère — » qui rejoint immédiatement le texte que je viens de lire Sans caresses. Je n’ai pas mémorisé le nom mais je vais l’indiquer. C’est le fond qui crève le plafond de la forme, car c’est l’histoire qui touche, bien avant la façon avec laquelle c’est raconté. Bien ça compte, mais l’anecdotique a ses limites puisqu’il est inépuisable dans toutes nos vies. Je ne dis plus Merci ! Je dis Encore !
Merci pour la lecture et la référence. Je vais y aller voir. Pour la forme, je tourne autour de cette question de parler l’enfance, de parler-clown… Je tourne.
Quelle maîtrise des mots et ce choix de présentation du texte… un régal mais à lire plus de deux fois pour en découvrir tous les trésors et à voix haute pour mieux l’apprécier. Merci
Merci ! Encore un grand chantier en cours : je n’ai parcouru pour l’instant que la page de gauche de ma cartographie. L’exercice fait beaucoup de bien pour se remettre les idées au clair.