L’étage est sous verrière : des deux côtés, boutiques, et puis au centre, le long creux ovale. À chaque extrémité, escalator pour descendre (ou monter si on arrive) et appelons ça niveau 2, mais le 1 est quasiment identique, une musique de fond qui ferait aquarium, le grondement sourd, mêlé et discret de l’air conditionné, des bruits de voix dispersés, d’un fond de musique d’ambiance, des escalators donc et les boutiques semblent un peu mieux éclairées de l’intérieur, une prospérité pas autant mise en cause que déjà là-haut, niveau zéro ce sont des marchandises moins chères, colorations plus vives et entassées sur des présentoirs devant les boutiques qui restent vides et affichent comme un concours de rabais et d’enseignes qu’on est censé reconnaître. La sortie se fait en prolongement du long creux ovale (en levant la tête, les courbures dorées ou inox des rambardes aux deux niveaux supérieurs) et donne sur la rue – c’est par là qu’on est arrivé un double sas à porte battante et non tournante et change le carrelage et s’établit le bruit, et à l’autre bout par un sas à la perpendiculaire, quelques mètres seulement et deux escalators en opposition selon qu’on arrive ou qu’on repart, à gauche un sigle pour trains et métros, à droite des batteries d’ascenseurs dont un réservé au personnel et qui dessert aussi là où n’a pu aller, au-dessus des deux niveaux le couloir avec vue sur ville depuis la suite des bureaux sauf ce qui concerne la sécurité puisque à gauche juste des ascenseurs la cabine vitrée avec les batteries d’écran basse résolution (on vous laisse aussi les voir, le vigile vous tourne le dos, sans doute pour vous prévenir), il y a un guichet pour l’accueil et derrière une batterie de machines pour les caisses de parking et l’indication parking, là on peut aller : un escalier de béton brut plus ciment lissé anti graffiti anti pisse et malgré ça l’odeur de désinfectant (des toilettes je n’ai pas noté, à côté des caisses automatiques donc à vue du vigile passif devant multiplicité des écrans) –– retour au niveau boutiques rez-de-chaussée : instinctivement tu cherches ces panneaux qui là-bas se répétaient toutes les deux boutiques avec un escalier étroit qui s’enfonçait donc non pas vers les parkings mais directement dévalant sous les boutiques et tu n’avais pas osé les emprunter pour voir mais bien spécifiés abris contre bombes ou roquettes ou autre alerte, dessous c’était dévaler un, deux, ou trois niveaux et on tombait sur quoi : alvéoles refaisant la géographie des boutiques ou long passage souterrain par quoi elles communiquaient toutes et lestées d’équipements de survie si ça devait durer), justement cette fois garé au dernier des trois niveaux de parking et refaisant le parcours en chicane pour la rampe de sortie découvrant une porte en rideau de fer peint vert sombre mais avec gyrophares orange verts et système de code avec lecteur plus interphone ça menait donc à quoi (et donc plus sûr si tu étais entré par cette rue commerçante semi-piétonne puisque de ville en ville se ressemblant toutes ou bien le long du grand côté cette rue bruyante avec la chaleur et des bus déglingués, des voitures et des vélos se garant et s’empilant de travers et marchands à la sauvette qui criaient – et plus sûr si tu t’étais effectivement garé au sous-sol puisqu’une autre rampe escaladait les niveaux de boutique et l’étage administratif qui les surplombait pour deux étages supplémentaires de parking sur le toit même, l’un à plafond bas et celui du dessus à même le ciel avec vue sur ville et que c’est ce que tu avais tenté, savoir ce qu’on voyait de la ville) mais là non tu descendais c’est le signe métro train que tu avais pris et c’était un couloir maintenant étroit, des affiches aux murs pour des spectacles ou des voyages mais c’étaient des spectacles et des films finis depuis longtemps et des voyages qui témoignaient de temps aussi révolus qu’eux, des silhouettes arrivaient lentement et comme flottantes en sens contraire et semblaient ne jamais te remarquer, on se croisait sans jamais se heurter et comme si toi en accélération constante : dans les rêves ainsi parfois on a ce sentiment de flottement et d’accélération mais ce n’était pas un rêve puisque tu débouchais sur un quai avec les vitres de portes automatiques, un métro s’arrêtait en grinçant et la vague de gens qui en sortaient te repoussaient brutalement, il restait trop de gens à l’intérieur pour que même en poussant tu puisses y accéder mais bizarrement sur le quai maintenant désert et les portes transparentes refermées aucun regret, non ce n’était pas pour toi, pas ce que tu voulais, tu longeais une galerie en pente régulière, cela descendait sans marches ni personne maintenant que d’autres comme toi et dans ta propre direction aussi, deux ou trois loin devant, deux ou trois loin derrière et puis ce hall comme circulaire avec des indications dans chaque point d’orientation, huit en tout en comptant d’autres galeries transversales et toi de nouveau dans double escalator pour descendre : cette galerie tu y étais déjà venu, déjà venu ça tu en étais sûr mais dans quelle ville et ces minuscules enfoncements à dominante jaune ou bleue les indications de ce qu’on y proposait à manger c’était en langues différentes comme si finalement la ville tu t’en étais détaché, la ville n’avait plus d’importance : souvent un comptoir avec tabouret au fond, deux tables le long de la paroi à l’intérieur et deux ou trois tables plastique et métal là sur le ciment de la galerie mais aurait-on dit extérieur, non certainement pas – tu demandais ton chemin le type te disait que non, au bout c’était fermé, en tout cas à cette heure-là c’était fermé et toi tu insistais quand même, devant c’était fini les boutiques, des suites de rideaux fermés, des entrées avec des plaques et des digi-codes mais on n’imaginait pas pour quels bureaux et quels services. Tu avançais on aurait dit le carrelage comme collant aux pieds ou les pieds lestés de poids et fonte chaque mètre augmentant mais tu le voyais bien au bout en impasse le décrochement avec l’escalier à la perpendiculaire et que la porte oui la porte c’était faux ce qu’avait dit le type en bas du demi-étage il suffisait de la pousser, dehors sur le trottoir c’était la nuit, en face un hôtel dont l’entrée clignotait et les corps de types vautrés comme dans leur vomi, alcool et chiens mais tout au bout enfin ça remontait tu distinguais le pont, et juste ça, la voie rapide à traverser.
ça devient un jeu de te lire avant la proposition pour te lire, et aussi pour deviner… et là quoi raconter un centre commercial, ou chercher son chemin? je donne ma langue au chat… et au passage merci de m’avoir appris comme dans ce texte à regarder autrement les parkings, les échangeurs, les zac zup Zep et tutti quanti
c’est de la triche ! c’est déjà assez dur de balancer toute la salve en moins de 40’ !
J’avoue François je fais comme Catherine ! Je plaide coupable mais j’aime ce plaisir coupable et le fait de découvrir ta proposition d’abord par le texte. Tu as parlé du fantastique hier dans la précédente vidéo donc j’avais déjà commencé à esquisser les contours de quelque chose. Une descente dans un trou façon Alice et le terrier. Alors forcément « Descendre » de près ou de loin je me dis que ça va coller. De toute façon il le faut pas le choix pour tenir le rythme effréné. Je capte selon les jours des bribes de consignes et puis je commence à écrire sans me demander si je suis dans les clous ou pas. Pour moi l’enjeu est ailleurs. Un fil narratif prend forme malgré moi sans que je puisse l’en empêcher (mais en ai-je seulement désir ?) de proposition en proposition. Pour écrire il faut d’abord écrire comme disait l’autre, voilà tout. Et la vidéo c’est chouette !
J’avoue j’ai honte j’admire!
Lieux de passage? Peut-être… En tout cas c’est très beau.
Ah du coup cette fois je découvre le texte après avoir visionné la vidéo. Tout semble s’articuler sur la précision des descriptions, pas de bol vraiment , ce qui demande un effort ( pour moi) qui les élude le plus souvent possible. Pour les lire comme pour écrire… C’est à dire que je survole la description pour ne pas être happé par ce qu’elle ne cesse jamais de me dire, d’une certaine façon mon inattention aux lieux, aux objets au moment présent dans lequel ils surgissent, étrangers totalement. Il me faut attendre que ça se décante, des jours des mois des années parfois et soudain la mémoire les recrache avec une clarté inimaginable. Une réalité. Je viens de lire quelques pages de la modification de Michel Butor, même impression désagréable au premier abord. Sans doute me faut-il il vous remercier pour tout ce que j’entrevois de vertige , tout ce qui me laisse baba dans les textes, les vidéos, le tiers livre et sûrement pas encore tout vu et lu, par exemple ce Bob Dylan, juste l’intro … aïe aïe aïe… et la préhistoire, juste une ou deux phrases et me voilà scotché , Une vraie découverte, merci François ! Et aussi c’est chouette d’imaginer la consigne à venir, supputer, se planter et repartir le lendemain en attendant le soir, d’allumer une nouvelle mèche 😉