Pioche. Carte-guide N°7, Le Massif du Puget et ses 15 jalonnements en couleurs. Éditée par la société des excursionnistes marseillais en septembre 1938. Une grande carte au 1/10 000ème pliée de façon à tenir dans une poche. Les Calanques, de Sormiou à la baie de Cassis avec des tracés. Et une brochure explicative sur les sentiers représentés. J’ignore d’où vient cette carte-guide. Mes parents, sûrement, ils se sont connus juste après la guerre en baladant dans les Calanques. Il y a des chemins tracés au crayon rouge, d’autres au crayon bleu. Mon père, en rouge, viendrait d’En-Vau, ma mère, en rouge, de la Calanque de l’oeil de verre. Ils se rejoignent au refuge du Cap Gros. Ma mère aimait le rouge.
Les cartes sont rangées dans un coffre que j’ai ramené de Chine. Estampillé comme une antiquité mais quand je l’ai acheté, la peinture laquée était encore fraîche.
Pioche. Une carte de l’Islande au 1:750 000. Les pliures sont usées, une multitude de trous lorsqu’elle est ouverte. Je cherche une date, je n’en trouve pas. Début des années 80, si mes souvenirs sont bons. Le Vatnajökull, grand glacier du sud-est, doit être beaucoup plus petit aujourd’hui. Il faut toujours avoir une carte d’Islande chez soi, ça permet de penser au changement climatique. Accessoirement, ça rafraîchit un peu la maison quand il fait chaud.
Pioche. Randonnées moto en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Éditée par la région. La carte est grossière. À quoi ça me sert ? Je les connais toutes ces routes. Peut-être du temps où je les connaissais pas. C’est sûrement ça. Je dois garder cette carte parce que je me dis qu’un jour j’aurai oublier ces balades en moto.
Le coffre est rangée dans un couloir chez moi. Sur le rayon le plus haut d’une étagère que j’ai confectionnée moi-même.
Pioche. Carte IGN au 1:25 000. Autour de la maison Chovelon. Une carte centrée sur mon domicile de l’époque, à l’est de la commune de Marseille. Un cadeau de ma soeur aînée pour un Noël je crois. Une carte centrée sur un ancien domicile, c’est une carte centrée sur une partie de son passé. C’est toujours étrange de s’y replonger, de chercher des traces de souvenirs dans les pliures, les taches, les noms entourés au crayon gris. En fait, je le remarque maintenant, la carte n’est pas vraiment centrée sur ce lieu, sinon une bonne partie serait en bleu. C’est ça, quand on habite pas loin de la mer.
Pioche. Carta stradale Toscana au 1:200 000. La carte paraît neuve, peu utilisée. Normal, on ne l’a pas sortie. On est arrivé en voiture, on l’a garée en banlieue de Florence et on s’est baladé en train. Une carte pour se souvenir qu’on ne l’a pas utilisée, cette carte. Ce doit être pour ça que je la garde.
Au lieu de descendre le coffre, je suis montée sur une chaise, je l’ai ouvert du bout des doigts et j’ai pioché des cartes au hasard.
Pioche. Carte plastifiée de Vancouver, easyfinder Rand McNally. Un quadrillage sous plastique. C’est triste une ville taillée au carré. Si un jour, tous les pâtés de maisons parfaitement rectangulaires se détachaient, ça ferait une belle poignée de confettis identiques. C’est sans doute pour ça que les Nord-Américains tracent les plans de leur ville au cordeau.
Pioche. Atlas Michelin des grandes routes de France, 1cm pour 10km. Un livret de 40 pages. Il est daté de 1962. L’autoroute entre Marseille et Paris n’existe pas encore. Le petit bonhomme Michelin se baigne dans la mer. Je ne suis pas encore né mais avec mes parents, mes frères et mes soeurs, on habitera page 32, on passera tous nos weekends et nos vacances page 33, j’irai pour la première fois page 14 avec ma grand-mère après sept heures de train. Aujourd’hui, je suis revenu page 32.
J’aime bien ce jeu. J’y reviendrai. Un jour.
Bonjour Jean-Luc,
elles sont toutes belles, ces pioches, jalons de vie, j’adore la dernière, celle du jeux de pages. Comme on l’a aimé ce livre de cartes et cette petite voix de quatre ans dans la voiture qui un jour, voyageant des heures a dit : c’est mon tour, le liv’ des cartes, je v’ lire la mer.
Ça fait plusieurs propositions que ce gamin revient, sans que je l’invite. Je le laisse venir, bien sûr, mais c’est pas vraiment voulu. Puis je me dis qu’il va partir comme il est arrivé. Ou pas…
sûr quedans ce texte joueur on voit l’interêt de conserver ses cartes, chose que je n’ai pas fait, mais jamais eu beaucoup non plus…
C’est pas que les cartes, je garde de drôles de trucs. C’est pas compulsif, c’est juste des trucs que je trouve drôle de garder. Jusqu’au moment où je me rappelle plus le côté drôle du truc. Alors, je jette.
Moi aussi j’aime bien la pioche de ton texte, comme un jeu de te lire.
Habiter à la page 32,partir en vacances à la 33… Ça donne en effet envie de jouer. Je me demande ce que ça ferait de jouer ainsi avec les grandes œuvres littéraires qui nous habitent.