#40jours #06 | La forme d’une ville

Tu pourrais faire n’importe quoi sur le téléphone que tu malaxes pendant que tu marches, cou crochu de bossu, omoplates de vautour, œil morne, pouce protubérant. Tu pourrais tout aussi bien liker, tchatter, répondre, discuter, tu pourrais youtuber, tu pourrais jouer, tu pourrais crossposter : aux gens qui te croisent, rien n’indique a priori que tu suis les points bleus d’un itinéraire de google, dans le sens de la flèche plus sensible que l’aiguille d’une boussole, qui avale ces points à mesure de tes pas. L’avantage de l’application mobile sur le plan en papier, c’est qu’il ne te signale pas immédiatement comme touriste. L’autre avantage, c’est qu’une brève caresse sur ton écran de verre peut t’apprendre, si cela t’intéresse, qui est Édouard Vaillant, ou pourquoi l’école maternelle s’appelle « Révolution », et depuis quand. Le troisième avantage, c’est que rentrée chez toi (car tu n’es pas touriste, mais exploratrice de zones ignorées de ta propre ville), tu pourras refaire virtuellement ton parcours, indéfiniment – avec la saison qui change d’un numéro à l’autre de la même rue, la ramure des arbres se couvre et se découvre, les rares passants ont des vêtements différents – et même tu pourras le découvrir depuis l’espace avec Google Earth. Ce sont les nouvelles dimensions d’une ville. Non pas deux comme sur la carte, non pas trois comme dans la rue, mais bien plus : des dimensions nouvelles, inattendues, potentielles, une ville non euclidienne. Cependant ni le plan en accordéon, ni les métadonnées ne t’ont prévenue qu’au bout de la rue, un belvédère donne sur l’Étoile.
C’est aussi sans compter avec les autres dimensions d’une ville, ses désirs, ses mémoires, ses représentations.

A propos de Laure Humbel

Site internet : Sur mes tablettes, laurehumbel.fr. Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine s'intitule «BigBang», la parution est imminente.

6 commentaires à propos de “#40jours #06 | La forme d’une ville”

  1. Belle promenade. J’ai eu peur soudain quand j’ai lu le mot belvédère … un contact violent ou mieux la rencontre avec l’allumeur du dit réverbère. Merci

  2. ben oui, non? Forcément contact violent et zou dans les étoiles! Beaucoup moins douée que vous sur google map, j’arrive à me perdre avec mais c’est très bien observé

    • Tu te rends comptes que tu es devenue Marseillaise quand
      1) l’étoile n’est plus une place circulaire aux nombresuses avenue, mais un massif de collines
      2) tu ne penses même pas nécessaire de préciser que l’étoile n’est pas un astre mais un sommet de cette chaîne.

  3. quand on a des lecteurs qui confondent belvédère et réverbère, faut s’attendre à tout ! Mettons que c’est la chaleur… mais je saurais maintenant. C’est donc archi bien observé et précis mille excuses