#40jours #06 | c’est pas par là !

Rien que l’idée et je me crispe, je revois la carte étalée à l’avant de la voiture  jusqu’ à toucher la joue de mon père qui conduisait en hurlant. Il hurlait pour plusieurs raisons : 1 c’était un nerveux impatient. 2 en bon signe de la vierge et adepte des plans quinquennaux propres à certains paradis lointains situés à l’est, il s’était escrimé à tout anticiper et noter sur des petites fiches cartonnées de son écriture illisible les arrêts-déjeuner, les stations essence, les hôtels, les restaurants à pas trop d’étoiles mais un peu quand même, les lieux à vister qui méritaient une pause et surtout le trajet avec les noms des villes traversées, les sections d’autoroutes, de nationales, de départementales et surprise nous voilà perdus sur un chemin vicinal . Tant d’efforts pour si peu de résultat, il ne se savait pas si raccord avec ses paradis.  Le tout, fiches et cartes routières soigneusement rangées dans l’ordre du périple dans une chemise spécifique en cuir grainé gold munie d’une grande pochette transparente pour y glisser la portion de carte de l’itinéraire du jour, ou du moins les premiers kilomètres, mais pas moyen, parce que 3 ma mère s’était trompée quelque part, forcément elle, pour notre grand planificateur toute erreur provenait inéluctablement des autres… ma mère condamnée au rôle de navigatrice, carte en main sous ce flot de hurlements, mais je t’avais dit de et tu me préviens toujours trop tard on va encore arriver à une heure impossible c’est pourtant pas compliqué tout est écrit. Fallait croire que si et je me défiais des cartes… Ma sœur avec la maturité de ses 15 ans a repris le flambeau, soulageant ma mère  de cette torture, ma sœur avait l’œil aiguisé, l’habitude d’anticiper elle aussi, non pas les trajets, mais les hurlements, ma sœur se démerdait vachement bien. Autant la laisser faire. Quand cette traîtresse est partie vacancer ailleurs avec de moins hurleurs, il a fallu m’y mettre, observer de près et me repèrer dans ce fatras de routes aux statuts divers, calculer avec beaucoup d’erreurs le nombre de kilométres entre les petites balises rouges, et surtout surtout, le plus difficile repérer dans quelle direction nous étions car par je ne sais quelle case manquante dans mon cerveau, les chemins et routes réels me guident – je ne me perds jamais- mais leurs représentations sur une carte me perdent. L’obligation scolaire de dessiner la ligne des reliefs à partir des courbes de niveau de carte IGN ne m’a pas réconciliée avec les cartes, quelques experiences de randonnées non plus. Seule à échapper à cette malédiction, il y avait les plans lumineux du métro d’autrefois bardées de petites ampoules qui affichaient des couleurs de fête foraine en indiquant la ligne qu’on devait prendre et qui m’ont donné le goût des correspondances, à les multiplier, on affichait des couleurs supplémentaires illuminant le plan dans tous les sens. J’étais souvent tentée de changer de trajet pour suivre une couleur plus à mon gout, et comme bien des enfants, je me consolais en cédant à la frénésie d’appuyer sur tous les boutons à la fois, jusqu’à me faire rabrouer par un adulte pressé. Les cartes sont un jeu de patience, et j’en manque, ma mère qui se noyait dans les cartes routières était pourtant une grande adepte du jeu du même nom. Patience après patience, cigarette  après cigarette, elle liquidait son temps de vie sans en attendre mieux. Quant à moi j’attends toujours la carte capable de me dire « c’est par là » sans ambiguïté aucune ou de me laisser aller sans direction aucune.

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

6 commentaires à propos de “#40jours #06 | c’est pas par là !”

  1. C’est un très beau texte, très évocateur, vous nous embarquez dans vos trajets familiaux, et au-dejà dans les nôtres.

    PS : « Les plans lumineux du métro d’autrefois bardées de petites ampoules qui affichaient des couleurs de fête foraine en indiquant la ligne qu’on devait prendre et qui m’ont donné le goût des correspondances » : je les avais oublié, l’image a surgi devant moi, tout près, comme quand on regardait ce plan-là.

  2. C’est un magnifique texte avec une tranche de vie sous scalpel, on voit la scène, mais aussi une ébauche des différents personnages. Un grand coup de coeur pour « liquider son temps de vie », ta conclusion qui ramasse le texte et le plan lumineux et les couleurs (le choc de cela depuis l’enfance semble universel). Vraiment merci.
    Entre nous j’ai une vierge (calme) à la maison, ta description est criante de vérité. Sourire.

  3. Les Vierges sont redoutables… Merci de ton commentaire plein d’aménité Anne

  4. On souffre avec vous et on se souvient par la même occasion de scènes semblables. Un texte nerveux et qui rend compte d’une nervosité perçue , qui en conserve l’empreinte. Un texte qu’on lit d’une traite jusqu’au bout en même temps.

    Note pour la compréhension globale : l’idée d’un codicille au dessus de chaque texte dans lequel on rappellerait brièvement l’énoncé de l’exercice lié au numéro de la journée. Surtout pour ceux qui oublient facilement. Pour un meilleur confort utilisateur comme dirait l’autre.

    • Merci beaucoup. ah oui le codicille je ne maitrise pas très bien… Et pourtant j’oublie les propositions au fur et à mesure tout comme vous!