C’est un plan, autrefois à tri-déplier, qu’on tend désormais, à l’entrée des visiteurs, dans sa version polycopiée A4 sans pli ni les couleurs. Des numéros, caractères passés en graisse, dans des cercles, indiquent les emplacements. À l’entrée on a, de façon manuscrite, entouré le cercle lui correspondant, le 36 et le plus loin des douches. Le plan mêle étrangement signes lapidaires et dessins beaucoup plus précis, comme ces langues qui font phrase d’idéogrammes et pictogrammes ensemble. Ainsi, quelques tentes réalistes surmontent leur chiffre purement indicatif, et les toilettes sont indiqués par leur abréviation anglaise tandis que les douches, sans doute reprises au vol par quelque designer parti en pause auparavant, sont elles dessinées jusque dans leur goutte à goutte et le rafraîchiraient presque, à l’œil. La mer, elle, se contente de trois vaguelettes en bord de feuille, dérisoire hors cadre ou au contraire si majestueux qu’on n’a osé que cette main levée de trois flots. Les chemins sont parfaits et précis, qui bordent les emplacements de leur serpent régulier et naïf. La piscine ne compte qu’un nageur solitaire, épaule saillant de son crawl et de la ligne ondulée de l’eau. Quelques arbres parsèment étrangement le plan, certains en petite meute et avec la précaution prise de tailles différentes entre eux, et d’autres isolés, qui longent les emplacements, sans qu’il sache encore si ce sont là les arbres réels, et si l’on peut alors se fier à leur efficacité d’ombre, ou quelques arbres vagues, ça et là, pour globalement dire que le camping en compte et qu’on se trouve là plutôt en genre de forêt qu’en sèche savane. Le plan réussit la prouesse, pour la vingtaine de mots qui s’y trouvent écrits, de recourir à la fabuleuse diversité babelique des langues: sommaire italien dans une « dolce vita strada » seule route à être nommée quand les autres chemins se contentent de leur linéa noire; bruyant anglais épuisé d’un « kids club » dont l’insolation épuisée des mères peut heureusement s’apaiser juste après d’un SPA et son latin de crèmes et soins, langue morte à masser. Un « shop » a choisi la concision syllabique d’un anglicisme pour ne pas trop avouer qu’ici moindre paquet d’edam en quatre tranches sera à huit euros et dix pansements, ni transparents ni waterproof, à douze. Une fois le plan récupéré, il a quitté le guichet d’accueil, avançant à petits pas dans sa voiture, comme on s’enfonce dans une partie de jeu de société, après le premier jet de dés.
Bonjour Milène. J’ai plongé dans votre texte au même rythme qu’une arrivée en vacances : étranger dans ce qui est étrange au début, avant de connaître par cœur le tour du propriétaire dès le lendemain.
Merci beaucoup Isabelle.