Le niveau trois n’est plus occupé. Fini le bruissement des collègues qui se racontent leur soirée ou leur week-end futur. Fini le téléphone qui sonne quasiment toute la journée. Comment c’est, un plateau vide ? D’abord le silence, puis la vision qui n’est plus arrêtée que par les quelques armoires qui restent et qui délimitaient des espaces, une façon de recréer ces bureaux perdus à l’arrivée des « open-space ».
Des bureaux, certains regroupés, d’autres en place comme pour recevoir de nouveaux employés, des fauteuils gisants en plein milieu sans plus de table à portée de siège, des écrans et leurs clavier/souris, quelques unités centrales rangées les unes contre les autres avec des souris au cordon soigneusement enroulé et des claviers empilés.
Un fauteuil usé au-delà de la trame, seul dos à une fenêtre. Il a tout perdu, son bureau, son écran et tout ce qui constituait son vis-à-vis. Seul une prise le nargue.
Des tableaux avec un grand bloc de feuilles, soient des paperboard (je n’ai pas trouvé comment cela se dit en français) attendent encore qu’on s’intéresse à eux avec dans leur rainure sur le devant, les feutres qui régulièrement sont secs et inutilisables.
Des armoires métalliques ouvertes, vides avec leur clé en pendentif, sauf une, quelques dossiers d’archive qui guettent leur tour, viendra-t-on les chercher ?
Quelques feuilles sur une demi-armoire, un ou deux cartons trainent par terre
Des extincteurs avec une date de révision obsolète, des chaises empilées, des caissons sous les bureaux, vides ou alors ne gardant que des dossiers suspendus vidés de toute paperasserie
Des poubelles heureusement nettoyées, des multiprises branchées aux sorties régulières du courant dans le sol. La moquette est toujours verte assortie au logo de la firme. Elle est vieille, usée sur les anciens passages, les anciens cloisonnements, raclée lors de déplacement d’armoires pleines pour pas trop en faire quand même, on n’est pas payé pour ça et puis de toutes façons on ne va pas rester là.
Sur la rangée à gauche restent des espaces bureau avec porte et cloison, réservés aux salles de rencontre et aux encadrants. Les tables rondes prévues pour les réunions ont encore toutes leurs chaises autour, bien en rang d’oignon.
Tous les stores sont baissés comme pour dissimuler cette déréliction.
Sur le rebord d’une fenêtre, des gobelets attendant le café du matin, adossés à une cafetière apportée de chez soi pour ne pas utiliser le distributeur, pour boire un meilleur café, pour s’offrir un moment plus convivial, pour boire qu’avec les collègues dont on apprécie la compagnie. Un message collé au-dessus du coin-café improvisé : « Très important : merci de penser à éteindre la cafetière après la dernière utilisation ».
Des tableaux aux murs, toujours les mêmes standards, les mêmes maîtres reproduits et encadrés ou les mêmes photos, des hauts sommets de montagne aux monuments célèbres de la région.
Sur une fenêtre, une feuille scotchée « Merci de ne plus ouvrir cette fenêtre » avec en dessous rajouté à la main « cassée ».
Certains services avaient déjà déménagé sur un autre site à la suite d’une fusion. Ceux qui restaient s’étaient regroupés sur les plateaux inférieurs. Aujourd’hui tout le bâtiment a été revendu par la firme.
j’aime bien le personnage du fauteuil usé jusqu’à la trame et les traces des « on est pas payé pour ça et d’ailleurs on va pas rester »: tellement toujours pareil.
Merci Emmanuel pour ton passage et ton commentaire. Et oui toujours pareil.