Ce serait comme retourner sur une scène de crime, entrer dans un souvenir obscur, on gravirait les marches de béton, on pousserait la lourde porte – bois et verre dépoli – pour se retrouver dans un vestibule rectangulaire desservant quatre pièces, dallage frais, du seuil on hésiterait dans la pénombre – papier jaune foncé au motif provençal – en regardant tour à tour les huit portes, d’abord la double porte vitrée donnant sur le séjour tout de suite à notre gauche, ensuite après le buffet en bois sombre – un chat caché dessous – la porte de la chambre des enfants, puis au fond, face à l’entrée, celle des toilettes à côté de laquelle un escalier descend à la cave et sur la droite la porte entrouverte de la chambre des parents jouxtant un grand placard mural fermé par deux portes d’armoire ancienne et enfin complètement à droite, juste à côté de la porte d’entrée, la cuisine-formica jaune pâle des placards à la table où une soupe de pois cassé refroidit, on irait directement à l’évier se rafraîchir les mains, on regarderait un instant par la fenêtre la haie et la maison voisine avant de ressortir vers le séjour – légère secousse de la porte vitrée quand on l’ouvre – l’œil tout de suite attiré par les trois fenêtres, la première immédiatement à gauche verse dans la pièce une lumière de neige fraîchement tombée, coupée par la masse sombre de la grande bibliothèque derrière laquelle la deuxième fenêtre approche l’angle de la maison, la troisième faisant face à la porte vitrée, alors des images du séjour meublé, sorties des albums de famille, se superposent à la vision de cette pièce entièrement vidée le jour du déménagement, le parquet comme agrandi – trace de brûlure devant la cheminée de briques et moulures de pierre – qu’un chat gris et blanc traverse en diagonale en miaulant de toutes ses forces – pourquoi s’attarder à la surface brillante et vide du grand miroir au-dessus de la cheminée ou fouiller les recoins à la recherche d’un détail, d’un souvenir personnel, mieux vaut continuer cette perquisition mentale dans les pièces voisines et ressortir dans le vestibule, longer le buffet pour entrer dans la chambre des enfants, il y fait nuit, les enfants dorment, par instants les motifs géométriques des volets s’illuminent sous la lumière des phares filant sur le boulevard et on entrevoit le mobilier de rotin de la chambre : deux petits lits, une corbeille de jouets, une petite table et deux chaises, on refermerait doucement la porte sans avoir élucidé l’affaire, on passerait devant les toilettes et laissant pour le moment fermée la porte de l’escalier, on entrerait dans la chambre des parents, moquette épaisse, grand lit surmonté d’une tête de lit intégrant des tablettes de chevet, fenêtre sur le jardin et à droite l’entrée de la salle de bain, avec là-aussi la vue sur le jardin, une longue baignoire, c’est la fin de la journée les enfants prennent leur bain, jouent avec la mousse ou s’allongeant complètement dans l’eau regardent au plafond les motifs de couleurs vives sur le fond noir du papier peint qui enrobe toute cette petite pièce, quand ils ressortiront encore humides de la salle de bain puis de la chambre des parents ils n’hésiteront pas longtemps en haut de l’escalier, ils se précipiteront dans les marches de béton gris sans ralentir au coude que l’escalier fait vers la gauche avant d’arriver à l’entresol au milieu de trois portes, à droite la chaufferie, local sombre où trône la cuve à fioul, à gauche la chambre d’amis, en face la salle de jeux, ancien garage inusité, et sa porte à rabats qui ouvre sur le jardin, la sensation indélébile de l’épaisseur du gravier crissant sous les pieds, l’ombre de l’énorme cerisier, on pourrait descendre avec eux les trois marches de pierre, courir sur la pelouse au milieu des arbres fruitiers, près du tancarville déployé comme un suppliant sous la blancheur du ciel d’été, on revivrait la descente au jardin, le soulagement qu’elle procurait – se sauver, être sauvé ? – on arriverait au fond du jardin près du mirabellier confit dans la chaleur continentale, on aimerait la vitalité sombre qu’elle a allumé en nous sans qu’on le sache… alors on se retournerait pour regarder la maison… comme elle apparaîtrait lointaine, hors de mémoire, forclose.
Bonjour Muriel,
ce retour en maison mémoire est trépidant ! et le petit focus sur la soupe… contrepoint du brusque recul depuis le fond de du jardin, on y est,
Merci beaucoup Catherine pour ce retour, c’est important d’avoir la perception des autres
Muriel, quel balayage époustouflant !
Et ce conditionnel tellement intrigant…
Merci et bravo pour ce très beau texte.
Merci beaucoup Fil d’être passé par là, je suis contente que mon texte vous ait plu