C’est un joli mot / sur le rebord trop lisse / flammes, gibets, catapultes / sur le pavé luisant et disjoint / signes et symboles, trace et tracé à déchiffrer / sur la racine qui affleure / le doute pas méthodique et puis le bégaiement / sur les marches inégales quand la main lâche la rampe / glisse et chavire sur le mot d’à côté / sur l’obstacle invisible un sursaut d’amnésique / c’est un joli mot trébucher.
Codicille pour répondre à la question de Clarence : Stolperstein signifie littéralement la pierres sur laquelle on trébuche. On lit parfois "pierre d'achoppement". En Allemagne et en Autriche, ce sont des pavés commémoratifs incrustés dans les sols à l'initiative de Gunter Demnig. Disons que l'on trébuche et le souvenir surgit. Ces pierres ont été installées dans un premier temps sans autorisation dans les années 1990. La mémoire fait irruption et déséquilibre. Cette incarnation corporelle du lapsus va à l'encontre de modèles plus passifs et contemplatifs et renvoie directement au registre de l'émotion comme vibration et déplacement. L'effet de surgissement mais aussi le rapport au sol, ont pu désarçonner: est-il bien convenable de marcher ainsi sur les morts ? Je parcours des articles étranges en rédigeant ce codicille. L'un d'entre eux relate le refus de la mairie de la Baule d'installer un tel dispositif invoquant tantôt le principe de laïcité, tantôt une forme d'embarras face à ces pavés venant percuter le référentiel touristique de la ville. Je songe alors au 19e, et selon Ariès au règne de la "mort cachée". La période médiévale où dans une sensualité commune, vie et mort sont étroitement intriquées paraît bien lointaine, même si elle perdure dans certaines cultures. Voilà qui nous renvoie très directement à la vie des ruelles et des villes, quand à une approche fonctionnelle séparant les espaces urbains cède la place une approche plus organique, grouillante, fluide. Cela surgit. On peut découper, segmenter, classifier, cela déborde. La mémoire s'immisce comme les racines, le pied suit les fissures qui courent dans le bitume, les touffes de végétaux éventrent les murs. Je marchais hier matin à Rennes en regardant le sol. Je suis tombée sur ces pavés dorés incrustés dans le sol, dont ce pavé portant la mention "chemin". Sans pour autant me faire trébucher, il m'a menée là, à ces autres pavés berlinois et à tout ce qui au sol, nous fait chuter et déraper.
Oui, c’est un joli mot trébucher et un joli texte que tu as fait, merci.
Les photos sont magnifiques et terribles à la fois.
Que veut dire Stolpersteine ?
et bien j’ai ajouté un codicille pour répondre à ta question 🙂
Très intéressant. Merci pour ce trébuchement.
Autre version du pavé de Proust, autre mémoire. infiniment plus lourde.
qui nous invite à repartir sur des terres plus heureuses, devant un thé et un pavé aux amandes.
Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours