#40jours #04 | Seuils

© L. Humbel, Marseille, 2022

Ciment brut de la réserve à peine plus gris que le blanc gris des murs – linoléum noir du sol du musée qui semble rebondir et pourtant absorbe le pas – gravier du jardin archéologique qui aboutit au seuil
au seuil de la cité – ça a bien changé
des dalles après le gravier marquent l’entrée dans la fière Massalia – calcaire blanc de Cassis qui à l’œil est gris, strié de sillons anti-dérapants, creusé de « trous de louves » – rien à voir avec l’homme qui est un loup pour – rien à voir avec la chatte – ou tout autre félin – louve pour levier, on y coulait en plomb des anneaux de levage – les grues de l’antiquité étaient actionnées par de grandes roues à l’intérieur desquelles, pour les faire tourner, marchaient des hommes comme aujourd’hui des hamsters – souvenir des cantonniers sur la route de Louviers – escalier de pierres blanches, la bordure de chaque marche à peine marquée de trois lignes creusées, repère visuel indispensable pour ne pas butter, se cogner, trébucher, s’affaler en montant – et pour ceux qui descendent encore plus important pour ne pas glisser, s’affaler, se casser la gueule, dévaler, se vautrer – escalier car il faut bien remonter de l’antiquité à l’actualité, le niveau du sol ne fait que monter – pour le niveau de la mer, voyez le prologue de Jean-Luc Chovelon, paragraphe 5 (https://www.tierslivre.net/ateliers/40jours-prologue-lieux-invisibles/) – le trottoir d’aujourd’hui fait de pavés cubiques de granit rouge disposés en éventail, comme à Rome les Sampietrini (les « pavés de Saint-Pierre »), sauf que ceux-là sont noirs – les Romains – j’ai suivi un itinéraire géologique dans Marseille, ça existe pour d’autres villes aussi, (http://www.biotope-editions.com/index.php?categorie10/collection-balades-geologiques) c’est rigolo et fascinant, anecdotique et primordial – le granit à Marseille vient de Chine, le calcaire de la bordure des trottoirs vient du Portugal – je ne sais pas où est coulé le métal des plaques hérissées de picots hémisphériques, disposées en amont de la bordure au niveau des passages piétons, pour signaler aux pieds du piéton l’imminence d’une voie cyclable, d’une chaussée automobile – j’imagine le métal en fusion – est-ce que ça fait ploc dans les moules – est-ce que les moules sont en céramique – la voie cyclable est un aggloméré de ciment et de gravier, presque une mosaïque en opus incertum, gris et autre gris sur blanc-gris – c’est fou les nuances du gris dans une ville – dans une forêt on ferait les verts – bandes blanches salies de peinture blanche qui ne doit plus bien être réfléchissante, la lumière de midi au soleil – il est 14h – l’aplatit – passage dit « clouté » mais maintenant les « clous », on les a déjà passés, ils sont sur la bande rugueuse en amont du trottoir, l’expression seule est restée, passage clouté ça sonne mieux que passage piétonnier – le trottoir d’en face est fait de pavés rectangulaires de diverses tailles, à première vue je dirais irréguliers, mais à y regarder attentivement, je vois qu’il est disposé selon des diagonales, le côté d’un pavé placé au milieu de celui du dessus, l’autre côté au milieu de celui du dessous, avec une alternance de pavés carrés et de rectangulaires – l’ombre d’un pin – le sol au soleil et le sol à l’ombre – rien à voir et pourtant la même matière sur le même trottoir – est-ce que l’ombre change la matière – est-ce que le soleil transforme le sol en lumière – il fait tellement chaud – l’ombre est si bonne – je ne vais pas plus loin.

C'est fabuleux de retrouver, formulés avec la maestria de François Bon, des modes d'exploration de la ville que j'avais déjà tentés pour travailler mon texte en cours, "Une piétonne à Marseille". J'adore les ateliers d'écriture !

A propos de Laure Humbel

Site internet : Sur mes tablettes, laurehumbel.fr. Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine s'intitule «BigBang», la parution est imminente.

4 commentaires à propos de “#40jours #04 | Seuils”

  1. Merci pour cette balade, Laure. En plus, je m’y suis vu. Tu (d)écris magnifiquement Marseille.

  2. Vos sols sont passionnants . ces pauvres ouvriers hamsters me laisse songeuse et il faudra suggérer à ma mairesse ces picots pour piétons ici, ( ici on les découvre quand on se les prend en pleine figure!)