Danielle avait beaucoup trop dormi, ses pieds nus s’enfonçaient dans le tapis berbère et touchaient parfois, désagréablement, des brins de laine durcis par le feu. Un jour, à fumer dans ta chambre, tu finiras par foutre le feu à la baraque, ma vieille. Ne plus y penser. Dans le salon, des bottines noires sont posées sagement au pied du canapé et à côté, un cabas de faux cuir avachi. Merde, Svetlana est déjà arrivée! (Svetlana est une dame croate qui vient deux fois par semaine faire le ménage chez Danielle). Elle l’entend qui repasse dans un grand fracas de vapeur. Je ne veux pas la voir. Je ne veux pas qu’elle me voit comme ça. (Danielle n’aime pas beaucoup Svetlana et c’est réciproque). Un rai de lumière sur la moquette orange forme un losange plus clair. C’est joli. Sur le marbre doux couleur sable de l’entrée, quelques moutons échoués. Un jour, il faudra dire à Svetlana de bien passer le balai. Non, ne rien dire. Danielle pousse sans bruit la porte d’entrée et avance discrètement sur la moquette grise antitaches des parties communes, les plinthes bordeaux sont écaillés, la laideur ordinaire. Ne pas y penser. L’ascenseur s’ouvre. Sol souple de linoléum aux veinures beige et rose. Il y a des traces de coca et un ticket de caisse froissé. Les ados du 5eme? J’ai encore le temps de tirer de l’argent et d’aller faire les courses. Rez-de-chaussée. Carreaux de céramique, couleur pain brulé puis une volée de marches blanches et les effluves lourdes des poubelles. Ne pas y penser. La rue. L’asphalte gris bleu du trottoir, des coulures sombres, dessins pisseux ou bitumeux. Qu’est-ce que je vais faire à bouffer, pas d’idées. Pigeon écrasé, tripes séchées sur la chaussée. Tache de sang. Ne pas y penser.
