Elle avait choisi un lino aspect béton gris pour le salon, la cuisine et le couloir, aspect moquette bleu canard pour les deux chambres. La quasi totalité des voisines avaient opté pour un lino plancher marron grisé, plus chaleureux selon elles. « Et ça fait comme un vrai en plus, et même un peu frais sous les pieds. » Un seul foyer, le couple, avait carrément opté pour un lino carrelage bleu à fleurs, « un peu too much » selon l’avis cette fois unanime de toutes les mamans solos. « Rococo » aurait dit sa mère.
Elle ne dansera plus. Elle avait renoncé à cette sensualité-là, entre autres abdications de petite ou grande ampleur. Ni sur un plancher de théâtre subventionné, ni sur un tapis de danse, ni sur un carrelage gelé de centre culturel, ni sur l’asphalte, ni sur la neige, sur rien. Alors, l’imitation de matière que ses pieds allaient désormais fouler au quotidien, elle s’en foutait. Elle voulait s’en foutre. La matière synthétique qui avait été déroulée à toute vitesse sur la dalle de béton par des ouvriers qui s’en foutaient aussi serait toujours assez neutre. Elle voulait marcher sans faire de bruit, avec cette discrétion qui aurait tant fait plaisir à sa mère. S’il fallait, elle mettrait des chaussettes, des savates, et même des pantoufles renne de Noël afin d’éloigner son pied d’un quelconque risque de stimulation joyeuse ou douloureuse, d’un truc, là, qui traverserait son corps, une pulsion de mouvement.
Le lino ou la danse. J’aime bien l’association surprenante de la danse avec le sol vu ici comme matériau ordinaire. Perte du sol, perte de danse. Votre texte nous touche. 😉
Merci de votre lecture Nolwenn !