Dehors, c’est le tumulte du quotidien : des voitures qui démarrent et qui freinent, des gens qui parlent et qui parfois hurlent, de la musique diffusée dans toute la ville par de petits hauts parleurs accrochés sur des façades. Je pousse la porte de bois peinte en noir et arrive dans un tout petit hall. Une porte à ma droite, une porte à ma gauche. J’emprunte cette dernière. Face à moi, un petit meuble où disposer ses chaussures. Deux paires sont déjà présentes. Je retire mes bottines et y glisse mes chaussettes à l’intérieur. Le tout, dans un silence empreint de respect.
Une table, ronde, se trouve à ma droite. Elle contient une boîte à mouchoir, vide, surmontée d’un petit écriteau où figure le mot « dons ». J’y glisse un billet de cinq euros, le coût convenu pour une session de méditation. Les murs blancs sont dépouillés, à l’exception de trois cadres représentant les maîtres de la ligne du Zen soto à laquelle appartient ce dojo. Derrière moi se trouve la bibliothèque des lieux, nourrie d’ouvrages de la tradition bouddhiste japonaise mais également d’autres livres, pour la plupart traitant de sujets philosophiques. Les bouquins sont minutieusement rangés par thématiques, puis par ordre alphabétique. Sur le coté droit de la bibliothèque est accrochée une tringle, fixée de l’autre coté au mur qui lui fait face. Une dizaine de cintres y sont suspendus, deux sont libres et les autres supportent de longs kimonos noirs. Je repère le mien et l’enfile. Un bras, puis l’autre, puis finalement la ceinture que je noue à la taille. Mon costume de ville disparaît sous l’épais tissu et je commence à me fondre dans le lieu.
Je fais quelques pas vers la droite et me penche afin de retrouver mon zafu – mon coussin de méditation – parmi la dizaine entreposés là, les uns derrière les autres. Certains sont plus rembourrés que d’autres, d’autres sont plus larges. Je repère le mien grâce à une petite étiquette rouge cousue sur la anse. Une exception à l’uniformité de rigueur, mais qui me fait néanmoins gagner de précieuses minutes. Je tiens le coussin dans mes bras, apposé contre la poitrine.
Une marche permet d’accéder au dojo en tant que tel. Je pose d’abord le pied droit – cela fait partie aussi de la tradition – et puis le pied gauche. Face à moi se trouve l’autel, une petite table sur laquelle est posée une statue du bouddha Shakyamuni en bronze. A côté, une fleur de lys repose dans un fin vase élancé. Une fine volute d’encens passe devant le visage de la statue et confère à la pièce une atmosphère sereine et spirituelle. Je m’incline. Gasshô. A ma droite se trouve le maitre du dojo, assis sur son coussin, immobile, le droit droit comme une pile de pièces d’or, le visage fermé et les yeux plongés à 45 degrés. Je me dirige en frôlant les murs jusqu’à arriver à mon zafuton, un large coussin noir carré sur lequel je dépose, doucement, mon zafu. Je m’assieds dessus, les jambes croisées en tailleur. Je prends une profonde respiration, m’ajuste le mieux possible sur mon coussin. Les murs sont ici aussi dépouillés de toute décoration. La pièce est plongée dans une semi-obscurité. Le silence absolu est respecté. Au loin, j’entends les tumultes de la ville, atténué par le double vitrage des fenêtre de la devanture du bâtiment. Le dos bien droit, je dépose mon regard sur le mur qui me fait face. Je réunis mes deux mains et me prosterne une nouvelle fois, face au mur. Gasshô. Mon attention se focalise sur mes respirations, qui se font de plus en longues. L’esprit s’apaise. Soudain, un tintement de clochette se fait entendre. Une fois, deux fois, trois fois. Le maître du dojo vient d’entamer la séance de méditation. L’instant présent en guise de fil rouge.