Quand elle a emménagé dans l’immeuble, elle a fabriqué pour sa fille une maison de poupées à partir d’un grand carton de rangement de vêtements avec croisillons intégrés, un truc qu’elle avait acheté étudiante alors qu’elle n’avait pas un rond, et d’une solidité étonnante à travers les années. Ce bâtiment cartonné au toit plat, beaucoup plus haut que large, avec deux profonds compartiments par étage, ressemblait étonnamment à leur HLM de 6 étages flambant neuf, au revêtement bois, avec ses appartements parfaitement immaculés, et étrangement identiques, conçus pour ces mamans dites solos (enfin « solos », vite dit, vu la marmaille intensément vivante qui les accompagne) qui peuplent le logement social français. Sur la façade, à gauche il y a le mur du fond des cuisines, équipées, vintage ou comme on peut, au milieu les fenêtres en alternance de l’escalier ou du palier, hautes ou non, mais ça fait joli, à droite, les chambres des mamans qui donnent sur le seul arbre centenaire qui a survécu aux travaux d’aménagement du nouveau quartier. Chacune a mis un soin particulier à décorer cette chambre gagnée de haute lutte sur le malheur qui leur était plusieurs fois tombé « sur le coin de la gueule » comme on dit (le malheur aime bien s’acharner, c’est bien connu, pourquoi sur les côtés du visage, ça c’est plus obscur) : au 1er, des minuscules pots de succulentes entourent le lit 200X200, la maman s’est inscrite sur Tinder récemment ; au 2e, la maman a laissé la plus grande chambre à son ado qui a recouvert tous les espaces blancs disponibles de dessins colorés réalisés sur des Canson aquarellables 45×61 grammage 200, Canson qui coûtent évidemment une blinde ; au 3e, le lit est collé contre le mur, pour laisser la place au bureau et surtout au gigantesque écran d’ordinateur ainsi qu’aux piles de papiers qui jonchent le sol, essais de mise en page, devis épars, bouts de textes sans queue ni tête ; au 4e, un ficus dont les feuilles touchent le plafond redouble la végétation de l’arbre centenaire à l’extérieur, mais il n’y a jamais trop de verdure hein, un hippopotame en peluche trône sur le lit à la couette fleuri ; au 5e, du linge partout par terre, on est chez le seul couple de l’immeuble ; au 6e, un chaton de la taille du poing domine le bout de ville en construction au milieu des meubles en bois massif qui mangent l’espace, héritage précieux de la maman de la maman.
Bonjour Sophie
Merci beaucoup pour ce beau texte un peu espiègle… et pour le HLM en carton.
Merci beaucoup pour votre lecture, j’avance à vue ! Votre commentaire me donne envie de changer le titre, merci encore ! 🙂
Le coût de la maison en carton, pirouette cacahuète, ne compte pas finalement, l’habitat qui s’invente pour une petite fille est recyclable pour une grande fille. On en a jamais fini de remeubler les pièces dans le souvenir d’un H.L.M. https://www.youtube.com/watch?v=kUVD4efqGgg
Ahah merci pour la chanson de Renaud :)))
Vous avez raison, rien ne vaut la sensation de solidité et d’ancrage dans le réel que donne un logement ou même une chambre « à soi »
Belle déambulation dans l’immeuble
Merci Danielle !