Tout d’abord expliquer mon zoom arrière dans la nature plutôt que dans la ville, il me fallait absolument quitter quelques heures la ville pesante et chauffée à blanc. La résidence que je vais évoquer aujourd’hui est une résidence près du port de Nice, en bord de mer, construite sur un ancien parc du XIXe siècle, suite d’une prédation architecturale — feu le petit palais inspiré directement de la Ca’d’Oro de Venise — et botanique — des essences rares rapportées des variétés de palmiers il en reste fort peu — concoctée par des promoteurs avides. Un classique dans la région. La résidence comporte plusieurs immeubles, le mien peut diriger ses regards de côté sur la mer et sur l’immeuble qui se trouve sur sa droite. Assise confortablement sur la terrasse située juste en face je me laisse porter par les visions qui s’en dégagent m’abandonnant à la moindre sollicitation de cette grande scène de théâtre. Je sais que ce que je capte n’est pas exactement ce que capterait un autre regard. Bien voir un immeuble blanc parallélépipédique face à la mer, six étages chacun occupé par trois appartements en façade avec grande terrasse, larges baies, tentes rouges. Au rez-de-chaussée les petits jardins privatifs cibles de regards surplombants des voisins des étages supérieurs peut-être envieux. Aujourd’hui fête bruyante dans le jardin situé à l’extrémité gauche, avec des odeurs de grillades, des cris, des musiques et des chants. Deux couples s’éclipsent à l’intérieur et disparaissent dans deux chambres. Les volumes sonores des télévisions ont augmenté. L’occupant de l’appartement situé au-dessus du jardin a manifesté son mécontentement, visible par ses gesticulations et ses allées et venues intempestives paraissant dictées par le rythme de la musique en cours. Sur les terrasses des deux autres appartements du premier étage des gens attablés et peu préoccupés par la fête d’en bas. Des habitués. Un d’entre eux quitte la table et va ranger la cuisine. Au deuxième les trois appartements grandes baies ouvertes chacun son style, contraste amusant, un meublé en style Louis XIV, le second en meubles design, le troisième en style africain. Le maintien des personnes semble en résonance avec le style du mobilier, là je force peut-être un peu, mais quand même, de la raideur dans le premier dans la façon de se déshabiller, de la suffisance dans la manière de recevoir des amis dans le second et du décontracté du lit à la table et au canapé dans le troisième. Je poursuis. Je voudrais bien arriver au sixième. Au troisième étage, appartement de gauche et de droite fermés. Au centre sur une chaise longue entourée de plantes vertes au feuillage abondant une jeune femme semble perturbée, peut-être est-elle en train de pleurer, elle porte à son visage un mouchoir à plusieurs reprises. À l’intérieur un homme affalé sur un divan regarde la télévision un bock de bière à la main. Montons. Le quatrième. Appartement de gauche fermé. Au milieu agitation. Trois pompiers viennent d’enjamber la séparation entre cet appartement et celui de droite, comment ne pas admirer leur agilité, ils tapent dans la vitre, ils veulent rentrer, appellent Madame X. — ouvrez —. Madame X. n’ouvre pas, ils cassent la vitre. Madame X. est allongée sur le sol, les premiers secours lui sont prodigués. Les habitants de droite heureusement présents avaient alerté et suivaient de leur terrasse, sur la pointe des pieds ce qui se passait de l’autre côté. Où en sommes-nous ? Au cinquième. C’est le royaume des animaux. Trois chiens dans l’appartement de gauche, un chat noir au centre et une grande cage d’oiseaux à droite. Les propriétaires sont peu visibles et peu expansifs. Juste brève apparition de la vieille dame qui nourrit les oiseaux puis rentre tout de suite à l’intérieur en fermant les rideaux. Ah le sixième. Celui qui domine et reçoit le plus de chaleur en été. Aujourd’hui comme tous les autres jours une jeune femme fait son yoga dans l’appartement de gauche, après avoir baissé le grand store rouge. Il fait beaucoup de vent aujourd’hui. Gênée par sa force, elle vient de clore la séance, s’installe dans un hamac et prend un livre. Puis elle pénètre dans le séjour et accueille une amie. Dans l’appartement du milieu deux jeunes enfants jouent, essaient de rattraper des objets qui viennent de s’envoler, retournent dans la cuisine prendre leur goûter tandis que dans l’appartement de droite un incident vient d’éclater, la tente vétuste vient de se casser, les bras d’articulation sont tordus et l’ensemble se projette vers le ciel comme aspiré, un jeune homme tente de retenir le système infernal, le tissu se déchire, un combat singulier s’engage. Un homme vient d’arriver, le gardien de la résidence. Muni de pinces et de marteaux il dompte le système, tout rentre dans l’ordre, en lambeaux et pièces éparses. Les deux hommes rentrent dans le séjour et dégustent un café. La pleine nuit vient d’arriver, les lumières s’intensifient, le vent se calme, les esprits s’apaisent, les rêves vont bientôt surgir et peut-être se rencontrer.
Merci Huguette pour ce texte. Comment va madame X ?
merci Véronique de votre lecture.
Madame X. est malheureusement décédée quelques mois après.