FAÇADES. Ses petites pattes noires aux doigts longs et fins sont agrippées à une barre de metal du mécanisme du clocher. La vue est imprenable sur le village. Aucune averse ne s’est abattue depuis plus de deux semaines et l’absence totale de nuages indique non seulement que les champs resteront désespérément secs le lendemain, mais offre aussi à voir par la même occasion un extraordinaire panoramique nocturne. A quelques pas du parc où ont été capturées les proies ressort, découpée dans la pénombre, la vitrine du Café des Carrières. Une lumière jaunâtre s’en échappe et illumine chaleureusement le trottoir. Tirant son nom de cet espace où est extrait de la pierre bleue, cet établissement accueille chaque soir son lot d’habitué.es, venu.es décompresser de leur journée de labeur ou simplement venu.es s’échouer là par envie de déconnecter d’un quotidien aux contours trop oppressants. Bill – tout le monde le surnommait comme ça sans vraiment savoir pourquoi – fumait sa dernière clope de la journée, adossé au mur de l’établissement. A coté de lui repose sa bière, dont la fraîcheur dégouline par condensation le long du verre. Il est passé 21h et le thermomètre, accroché sur la façade juste à côté de lui, indique toujours 28 degrés. A l’intérieur du café flotte une odeur acre, coutumière des lieux, à l’interstice olfactif de la chope tombée par terre et des tartines au salami que finit d’engloutir Marcel, un autre pilier de comptoir.
La vue du haut de la collégiale est également parfaite pour apercevoir ce qui est communément connu là-bas comme la « sainte trinité » : les statues éclairées des père, mère et fils Durobor. Située au nord du village, la statue de Jean Durobor, patriarche de la famille, accueille tout visiteur en provenance de la capitale. Du haut de sa puissante et large carrure, la statue de bronze tend la main en signe d’hospitalité et de bienvenue. Les enfants du coin ne manquent évidemment jamais d’y accrocher à l’occasion ce qui leur passe par la main, que ce soit un vélo récupéré à la décharge ou encore des illuminations chapardées dans un jardin aux alentours. Jean Durobor, après avoir bâti il y a de cela cent cinquante ans une usine de traitement du verre, qui allait faire du village un fleuron en la matière, était donc fréquemment sujet à dérision. Au sud, c’est la représentation du fils qui en impose. Sous trois spots jaunes, éclairant la statue en contre-plongée et accentuant son air menaçant, Marc Durobor toise la population qui passe aux alentours ou qui se rend à la maison communale. Il avait à l’époque marqué les lieux par son franc parler et son caractère intransigeant, tout au long des trois décennies où il avait endossé le rôle de maire du village. Craint tout autant que respecté, Marc Durobor avait participé à la reconstruction du patelin à la sortie de la seconde guerre mondiale. Et puis Martine Durobor, l’épouse de l’un et la mère de l’autre, était surement la figure la plus appréciée de la bande. Au pied d’un grand chêne centenaire, sa statue au socle de pierre encerclé de lierre évoque quant à elle la bienveillance et la compassion. Elle a donné son nom à l’école située vingt mètre plus loin, bâtie sur le trottoir d’en face. Institutrice pendant vingt ans, elle a passé les dernières années de sa carrière à prendre les rênes de l’établissement, infusant de la joie et de la discipline selon un équilibre qui lui était propre. Un infarctus finira malheureusement par l’emporter, six mois avant qu’elle ne parvienne à sa pension. La statue sera érigée peu de temps après sa disparition et la tradition veut que depuis lors les classes de la petite école viennent chaque printemps fleurir les alentours de cet espace commémoratif. Dans le village, on met un point d’honneur à perpétuer les mémoires.
PRECEDEMMENT PUBLIE #40jours #01 | le gueuleton de la nuit DEZOOM. Encore une longue journée qui touche à sa fin. Le genre qui n'en finit pas, où chaque pas a demandé un effort supplémentaire et où on se contente d'assister à l'égrainage des minutes. Les températures se sont envolées et les habitant.es du coin ont bu plus que de raison. Mais pour elle, peu importe. Elle vient de se poser sur la branche de ce bouleau, centenaire, attirée par un essaim de petites mouches qui grouille autour d'un reste de fruit rouge, reposant sur des galets. Quelques enfants jouaient là à cache-cache, une poignée d'heures plus tôt. Sûrement un reste de leurs éclats de rire. Tous ses sens sont en action. C'est le moment. Elle déploie alors ses larges ailes sombres et élastiques, pique du museau deux mètres plus bas et attrape au vol deux petits moucherons qui ne s'étaient rendu compte de rien. Pas de tergiversation, direction le fond du gosier. Elle reprend ensuite de l'altitude, à grands coups d'ailes, évaluant à l'aide de son radar à ultrasons la distance qui la sépare des toits. Elle connaît son parcours et sait pertinemment les angles à éviter. Elle surplombe à présent le champs de maïs, situé au bout de la route. A cette heure, il n'est plus qu'une déclinaison de gris, néanmoins agité par les manoeuvres de quelques rats des champs, eux aussi en quête de nourriture du crépuscule. La lune lui sert de point cardinal. Elle se dirige droit vers le clocher de la collégiale, un de ses repères favoris, surplombant la petite ville ouvrière. Le calme est de rigueur, la plupart des âmes ont déjà succombé aux affres de la nuit.
Belle description de village où on voit des grands axes qui se croisent