Il n’est pas loin de huit heures du soir. Au numéro 8, un garçon d’une dizaine d’années joue aux petits soldats dans un salon pendant qu’à la télévision défilent des images de la guerre en Ukraine. Au numéro 6, dans la maison mitoyenne, une femme prépare des bananes pesées. Une façon de conjurer l’exil. Sur le buffet, une demande de renouvellement de titre de séjour et un passeport haïtien. En face, au numéro 3, une vieille dame s’apprête à fermer ses volets. Elle écoute les bruits de la ruelle. Pas loin, des cris et de la musique. Tous ses gestes sont lents. Sur la table de nuit, le portrait en noir et blanc de sa mère qu’elle époussette avant d’éteindre la lumière. Juste à côté, au numéro 1, au premier étage d’un magasin de pièces détachées de deux roues réduit au silence de la nuit, un vieil homme mange seul devant la télévision allumée sur les informations locales, torse nu, un pansement au milieu du torse. Le ventilateur tourne mais il a trop chaud. En remontant la ruelle, un couple se déchire à objets jetés et mots criés ; ils finissent par réveiller le bébé qu’elle avait mis tant de temps à endormir. Un peu plus haut, un vieil homme assis sur son canapé ferme les yeux, sourire aux lèvres, en écoutant Barbara. Il sait que cette nuit, il ne dormira pas. C’est la pleine lune. Le soir est tombé sur la ruelle, toute palpitante de vies.