La façade, ça coulisse, ça s’enlève et on voit tout en une fois qui fait des petites boîtes bien sages, toutes proprettes, on voit tout et on te voit aussi, même les pièces aveugles elles se prennent le gros visage nez à nez, le gros yeux qui toujours l’air terrible de si près, « Qu’est-ce que tu as fait là ? ! » avait demandé Malice un mauvais jour devant le dessin de la maison qui fronçait les sourcils des fenêtres et la moustache au-dessus de la porte, « Ça n’existe pas des maisons comme ça », et ça faisait beaucoup de peine de voir qu’elle ne se ressemblait plus à faire des réflexions comme ça, mais elle peut être aussi terriblement bornée, — nous te l’avons déjà dit, mais tu ne nous écoutes pas, ta grand-mère et arrête de l’appeler Malice, tu es trop grand à présent pour ces bêtises, tu dis grand-mère Alice, ou Mamy, c’est bien Mamy, mais tu ne vas pas l’appeler Malice jusqu’au bac, qu’est-ce que je voulais dire ? Ah oui, terriblement bornée, tu ne vas pas pleurer pour un dessin —, mais à la fin Malice était si mal à l’aise avec son petit Mousy tout chagriné, Malice avait dit en faisant semblant « Ah oui ! Je comprends, il y a quelqu’un dans la maison qui est très fâché, c’est ce que tu voulais exprimer avec ton dessin » et on a dit un tout petit oui, qui faisait honte jusqu’aux joues parce que mentir à Malice ce n’est pas comme faire des inventions et des petites blagues avec elle, mentir à Malice c’est la fin du monde, elle ne comprenait rien de la maison qui nous regarde aussi et on a dit le petit oui, en faisant semblant aussi d’être soulagé d’un poids, qu’elle avait tout compris exactement. C’est la première fois que c’est arrivé, Malice tout engoncée dans le sérieux des parents, comme la tête coincée dans un col roulé qui gratte, on va mourir étouffé — ne panique pas comme ça ! Quel cinéma, ce gosse ! Et ta cagoule ? Où tu l’as mise ? —, c’était un coup dur et on s’est tenu à l’écart, à scruter la maison qui n’a rien à cacher parce qu’on ne lui voit plus que les os une fois que la façade à coulissé vers là-haut, ça fait du bien la maison vide, plus de Malice, plus de parents, plus que le gros visage et que je te pose le menton dans le salon vert pour voir vraiment ce qu’il y a sur le tableau au fond et c’est une sorte de trou dans un arbre, et à côté il y a le bureau fermé, mais maintenant ça ne l’avantage pas tellement sa porte à double tour puisqu’on le voit par dehors, et quand on saura lire, on pourra dire le nom de tous les livres de la bibliothèque… « Elle est drôlement remontée, ta maison », j’ai tourné la tête, le Grand D’ombre regardait le dessin. Voilà. Je n’ai pas compris « remontée », mais l’idée c’était pile la bonne. Il est venu doucement, comme s’il avait peur que je me carapate à huit comme une araignée, ça n’a pas été du gâteau de plier ses grandes guiboles pour s’asseoir tout près sur le tapis et coller son grand visage près du mien pour jouer à « voir ce que tu regardes… » alors ça c’était trop fort, j’ai fait motus de surprise, « sauf si ça ne me regarde pas, peut-être ? », mais si, si ça le regardait aussi, et même les pièces aveugles, les livres et les secrets dans le papier peint et les tapis en tout petit ici, « Ça alors… ! » c’est pas tout le monde qui peut supporter le face à face, j’ai dit que je pouvais lui refaire la façade si ça faisait de la gêne où y’a pas de plaisir, « Non, non… », donc on a fait les gros visages à la place des murs, et il a particulièrement insisté sur la chambre des petits, parce que c’est tout bizarre d’être assis dedans et dehors à la fois, hein ? « Mais c’est la maison… » de Malice, oui, facile à reconnaître même s’il y a des pièges et je guettais pour voir s’il tombait dedans ou s’il était malin comme son ombre, mais au bout d’un moment à jouer avec les jerrycans du garage, à tâter du petit doigt les oreillers des lits, à coller son œil contre la brioche vernie sur la table de la cuisine, il s’est repris les jambes dans les bras pour mieux voir avec du recul, et pense, pense, pense, il a dit qu’il n’y avait pas la véranda, ça c’était fort de café, typique du grand D’ombre qui voit les choses absentes en relief, on s’est serré la main pour toujours et ça lui est sorti : « Mais comment ça se fait que dans cette maison-là y’a pas un chat ? », parfois j’utilisais quelque chose pour me rappeler Malice, ou Ça-Chat, pas des poupées non, on n’en donne pas aux garçons-ça-ne pleure-pas, et puis ça rappelle pas terrible, les poupées, les personnes, alors qu’un petit fil de laine de la travailleuse tendu à travers les pièces, ça ressemblait vraiment au parcours de Malice toujours affairée, même quand il s’emmêlait par maladresse ou impatience, et Ça-Chat, il ne fallait pas trop se le rappeler parce qu’il manquait et qu’on n’était plus un garçon-ça-ne pleure-pas après, mais ça faisait beaucoup à expliquer et à l’époque je ne parlais pas trop.
J’aime tellement tes histoires. Merci, Emmanuelle.
Merci d’être venue entendre celle-ci, ma chère Simone.
Bonjour Emmanuelle
Merci !
Je me suis laissé prendre à ta belle histoire de garçon-qui-ne-pleure-pas…
Bravo !
Merci de ton passage, Fil ! C’est précieux pour moi de savoir qu’il peut embarquer un lecteur (sa pensée est un sacré charabia).