Cave – Saint-Maurice – date perpétuelle
personne ne pense jamais aux habitants de la cave : souris, tégénaires, champignons et autre mérule, malaimés des inventaires, pourchassés, détruits, écrasés, traités, dératisés. Sous les pavés, les caisses de vin et les vélos, les bouteilles d’eau et les réserves de papier toilette, et dans les murs, les conduits vers les poubelles. Le sol qui fait crisser les pneus, les colonnes qui oppressent les manœuvres, les marches arrières difficiles, les talons qui claquent, les échos, les minuteries et les minutes trop courtes, l’ascenseur trop lent, se retourner plusieurs fois, mais non rien.
Rez-de-chaussée – Saint-Maurice – avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny – date perpétuelle
l’entrée large envahie de plantes en détresse, le concierge ne les arrose plus depuis 9 jours. La même moquette pour tout l’immeuble, où les pieds valsent chacun pour soi ; on partage le même espace éphémère de mois en années, sans jamais se voir mais nos pieds savent. Nos chaussures ont marqué le territoire. Elles se laissent des indices qui disparaissent sous la technique dite de l’aspirateur mais elles y reviennent toujours, les chaussures. Elles sèment des petits cailloux de reconnaissance qu’elles emmènent parfois dans l’ascenseur.
1er étage – Saint-Maurice – avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny – 13 juin 2022
une chienne pleurniche, délaissée par sa maîtresse le temps d’une course au Monoprix. Elle guette, elle écoute, elle entend, elle renifle, elle grogne, elle aboie. Elle a toute une panoplie de chienneries à son actif et elle peut les reproduire à l’infini, dans l’ordre et dans le désordre.
un enfant pleure, délaissé par sa mère le temps d’une escapade à la campagne. Il guette, il écoute, il entend, il renifle sa morve, il gémit, il a faim. Il a toute une panoplie de petites voitures pour s’occuper, des bonbons dans une vasque et des pains au chocolat. Il n’arrive pas à ouvrir la bouteille d’eau. Ses mains sont trop petites et sans force. Ses sentiments contraires sèment le chaos dans les voitures. Derrière les larmes, il voit du jaune, du bleu et du rouge, dans l’ordre et le désordre.
2ème étage – Saint-Maurice – avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny – 13 juin 2022
Monsieur Carter pleure, délaissé par sa femme le temps d’une mort qui ne s’était pas annoncée. Il lui tient la main, l’embrasse, la caresse de sa joue, répète son prénom à l’infini, dans le désordre de ses désespoirs. Il ne peut pas vivre sans elle.
une femme jouit, écrasée sous le poids de son amant. Elle aime ce corps lourd qui grogne entre ses cuisses. Elle regarde le visage de l’homme crispé par l’orgasme, rougeaud, déformé. Elle a envie de rire au milieu du plaisir. Elle ferme les yeux pour revenir à ses propres battements intérieurs, qui s’estompent, ralentissent et disparaissent.
Les troisième et quatrième étages sont vides de leurs occupants. En vacance de vie, de respiration, d’agitation. Une télé allumée a été oubliée, dans chaque appartement un frigo grésille sporadiquement, des poussières se déploient, chaque fenêtre est visitée par un merle fébrile, des rayons de lumière dessinent quelques ombres mais la poésie des heures échappent aux regards des absents.
Il est 15h dans tout l’immeuble et madame Carter ne sera pas la seule à mourir aujourd’hui.