Souvenir Bobigny 1986 facile de retrouver sur Wikipédia coupe du monde de football demi-finale la France joue contre l’Allemagne et cité Karl Marx depuis le quatorzième étage l’ensemble des six tours avec façade sur dalle dans demi-lumière, la dalle tout en bas gris faible avec intermittences les chambres noires et la pièce principale non pas en jaune fixe avec zones allumées zones éteintes comme d’ordinaire tu as pu t’amuser d’en suivre le jeu progressif et hasardeux au crépuscule mais un éclat bleu sur tache verte de téléviseurs et vingt cinquante cent pourquoi pas mille si tu élargissais ou te retournais ou te reculais ou cent mille en prenant de la hauteur mais là non juste les façades perchées de dix-huit étages sur dalle et tout invisible tout silencieux rien que ce même jeu irrégulier mais partout répété et simultané de l’éclat bleu-vert : pourquoi avais-tu pris peur, pourquoi s’en souvenir avec précision telle et comme le match fut perdu au lendemain c’était cette dégradation casser brûler et déféquer comme se punir soi-même de ce qui n’était même pas injustice et juste spectacle. Et vingt jours durant Bleeker Street dans le studio sous-loué peint tout blanc de la NYU le large immeuble face à toi côté sud et l’autre retour perpendiculaire la géométrie des cases l’infinie dispersion des tonalités mais principalement blanc cru pour les pièces tour à tour éclairées selon présence ou pas des locataires, leurs activités rien à en deviner juste ce jeu imprévisible et irrégulier des apparitions. Il y avait eu Berlin aussi, l’autre côté de la rue, c’est la pièce que tu avais adoptée pour travailler, on y entrait par la cuisine et c’était de ce côté-là, par delà ces double-fenêtres si caractéristiques de la ville les trois étages de l’immeuble d’en face et celui qui restait éclairé toute la nuit en général le fauteuil vide et la vieille dame qui marchait, un fauteuil de toile verte qui faisait face en oblique à la fenêtre vide à la rue vide et son seul lampadaire blême, à d’autres fois dans la nuit tu venais et elle y était assise, dans le fauteuil, avant de recommencer sa ronde, une seule pièce en semi-lumière et la silhouette qui passait se détachant brièvement grâce au réverbère derrière les deux autres fenêtres, le fauteuil vide de soie verte alors une sorte d’icône muette et puis ça y était, elle s’y était rassise et cela tous les soirs et cela jusqu’au matin. Puis où : se souvenir qu’il s’agissait d’un atelier d’écriture, que donc ç’avait été dans la même salle plusieurs fois, que dehors il faisait nuit, et en face ce bâtiment de bureaux (ou labo de recherche, je ne sais plus) et toi en surplomb de trois étages superposés de bureaux pareils et donc à cette heure vide sinon le déplacement de case en case, dans la lumière neutre et fixe, blafarde, de deux femmes avec chariot de ménage et les seaux de lavage pour le sol, toi donc plusieurs fois de longs moments (elles et ils écrivaient, tu les laissais écrire) le front contre la vitre face à cette présence vide du travail comme en suspens, à reprendre au lendemain matin en n’offusquant que le mouvement irrégulier et lentement tournant des économiseurs d’écran et là, à t’en souvenir, l’impression que ça aurait pu basculer à l’horizontale, toi en surplomb encore mais comme en nageant on surplombe le fond régulier d’une piscine (je n’aime pas nager en piscine), chaque case donc maintenant exposée à la verticale et seules les deux femmes avec leurs chariots et seaux alors en équilibre ou en suspension comme toi – la vie bureau, la vie écran et le malaise à penser que tout ça au matin serait peuplé d’individus aussi semblables que leurs tables, chaises, téléphone et écran, la déco personnelle même.
implacable conclusion, c’est triste et vrai à la fois. C’est souvent le cas, ce qui est vrai est triste et vice-versa.
ces images sont toujours hyper rémanentes chez moi