Quand elle se réveille au matin avec ce rêve insistant dont elle n’a pas envie de sortir de tromper son mari ou plutôt de s’apprêter à tromper son mari elle se demande d’où cela peut bien venir, c’était si précis dans les paroles échangées lorsque elle a proposé d’organiser un repas avec son mari et qu’il lui a simplement répondu que ce n’était pas vraiment l’idée et qu’elle a su qu’il avait la même idée qu’elle. Pas la peine de chercher bien loin, cet assistant recruté il y a trente ans parce qu’il avait fait son service militaire (VSN) en Islande (ça lui avait plu) et qu’elle a revu récemment (justement à l’occasion d’un repas à trois avec son mari) est devenu cet ambassadeur au Groenland vu hier soir dans la saison 4 de Borgen qui vit une histoire avec une ministre groenlandaise mariée. Inutile de chercher plus loin, juste garder la sensation floue et agréable d’une connivence qui remonte à loin, bien avant la rencontre de son mari, qui n’avait rien d’une attirance sexuelle, juste un souvenir comme un sourire esquissé, enfoui dans son inconscient.
Le rêve n’est pas la réalité. La fiction non plus tout comme la carte n’est pas le territoire. Belle expression fascinante qui lui parle étrangement lorsqu’elle retourne à son travail de description d’un lieu. C’est quoi la réalité ? L’artificialisation du monde ne lui semble pas une expression assez forte pour décrire ce qu’elle ressent, la déréalisation qu’elle perçoit. Comme si ce qu’elle percevait avec ses sens n’avait rien à voir avec le réel vrai. Comme si elle voyait bien mieux le réel vrai sur la carte IGN ou sur celle de prévention des risques, comme si autrement elle contemplait un décor dissimulant la réalité.
Prenons un exemple : la commune de Lissieu possède trois ruisseaux, le Sémanet, le ruisseau des gorges et un écoulement intermittent sans nom au fond d’un thalweg qui coule du sud au nord à travers la commune. Je défie quiconque de les situer et de m’emmener les voir ! Ils figuraient déjà sur la carte de Cassini ou le cadastre napoléonien. Désormais, ils ne figurent clairement que sur la carte IGN ou le plan de prévention des risques, dans le souvenir de quelques habitants qui ont eu les pieds dans l’eau et en mention sur les documents d’urbanisme lorsque quelqu’un s’avise de construire au bord. À bien y regarder, le document de prévention des risques de 2018 élude même le cours du ruisseau intermittent dans sa partie nord comme s’il se perdait dans les champs alors qu’il a sur la commune deux bassins de rétention, qu’il passe sous l’école et sous divers bâtiments de la zone industrielle. Comment est-ce possible d’ignorer ce qui est réel, déborde, provoque des glissements de terrain, de faire comme si cela n’existait pas ?
Prenons un autre exemple : le document de prévention des risques mentionne bien le risque constitué par le transport de matières dangereuses sur l’autoroute A6 qui coupe la commune en deux avec en prime la proximité d’une station – service, mais ne dit rien des deux nœuds autoroutiers qui se sont créés depuis au sud de la commune (raccordement à l’A89 à 500 m de la limite sud) et au nord (raccordement à l’A46, 1,5 km de limite nord pour le départ de la bretelle). Tout cela ne devient clair qu’en regardant la carte.
Carte encore pour localiser la centrale nucléaire la plus proche, visible par temps clair des hauts de la commune voisine (Bugey 60 km par la route, 38 km à vol d’oiseau), les laboratoires P4 (15 km à vol d’oiseau), les sites Seveso (30 km par la route), Tchernobyl (2474 km par la route, 1600 km à vol d’oiseau). Elle pourrait continuer ainsi jusqu’à Fukushima. Et bien plus loin encore, car même les cartes dissimulent une partie du réel [soit volontairement, soit qu’il ait été oublié, jamais cartographié].
Il fallait au 18e siècle cinq jours pour aller de Paris à Lissieu, un peu moins au 19e siècle par les diligences Caillard, beaucoup moins avec le train (depuis Saint-Germain-au-Mont d’or), deux heures maintenant (de la gare de Lyon Part-Dieu). Livré en un jour, livré en 30 minutes. À quoi se fier pour percevoir le monde selon les catégories l’espace et du temps ? Si la réalité vraie n’est que la représentation qu’elle en a, laquelle choisir ? Elle ne vit pourtant pas dans une fiction.
Bonjour Danièle, contente de retrouver tes pensées déambulantes
merci Catherine. Contente que tu sois là.
Comment ne pas penser à la Carte du Tendre… Pas encore de GPS assez puissant pour en repérer les points de rencontre , d’abord en rêve, puis sait-on jamais dans la réalité, en passant par la fiction ? Je pense aussi à la chèvre de Mr Seguin et son rond d’herbe archi-brouté… Et la corde qui s’effiloche… s’effiloche… Et parfois, Crac ! Elle part en oubliant sa carte … bancaire… L’adultère aujourd’hui n’existe plus guère , La loyauté et le respect de l’autre si ! Mais le Désir, le phénoménal Désir d’autre chose de nouveau… Chanson de Christophe… https://greatsong.net/PAROLES-CHRISTOPHE,LA-MAN,100208900.html
Merci Marie-Thérèse. Je n’avais pas vu tout ça dans mon texte. Ce qui est bien dans le projet 40 jours, c’est qu’on ne se censure pas (ça va trop vite) et qu’on fait sans doute sortir des choses qu’on n’aurait jamais dites comme ce rêve.
Merci Danièle. Voilà qui me relance dans le rêve fou et impossible de la carte qui contiendrait toutes les cartes, comme dans une fiction à la Umberto Eco.
Merci Ugo. La passion des cartes, ce n’est pas rien. Dans un monde tellement déréalisé qu’on ne se guide plus qu’au GPS.
Bonjour Danièle, je reprends avec retard la lecture des textes du début de l’été. J’aime beaucoup celui-ci, surtout le paragraphe qui commence par « Le rêve n’est pas la réalité. La fiction non plus tout comme la carte n’est pas le territoire » et le suivant sur les ruisseaux.