D’où m’observes-tu ? Je suis dans la chambre, dans la chambre dont tu as parlé un jour, la chambre jaune — c’est la bonne sans aucun doute possible —, la chambre de l’appartement au salon « très framboise », de l’appartement vide et traversant, un œil sur le parking vers la ville, l’autre sur le bois et la Seûle, bien naviguée, elle va jusqu’à l’océan et ensuite tu peux être n’importe où, les bateaux filent dans toutes les directions, les papiers se perdent, ton nom joue au Boggle, à la dyslexie, à l’association libre et ton identité déjà trouble se multiplie dans une forêt de miroirs… je suis dans cette chambre à présent, dans la cuisine il n’y a rien qu’une table et c’est là, j’en suis sûr, que tu as écrit — la fenêtre est inaccessible au regard, le recul impossible de ce côté-là, le camping trop proche et ses arbres empêchent, c’est un calcul d’angles, tu l’auras fait, tu auras pensé aux enfants qui grimpent dans les arbres pour voir comme les géants, la ville minuscule, la ville fourmi, pas plus grosse mais aussi complexe que l’empreinte d’un majeur sur une vitre, labyrinthe unicursal, la ville emberlificoté sur elle-même qu’ils peinent à reconnaitre une fois dans l’arbre et qui, de là-haut, reste toujours un peu étrangère, et cette sensation leur reviendra plus tard, leur occupera tout le corps, avec l’amour, avec le trouble du désir, la hauteur de l’arbre en racines plongeant toujours plus profond dans la terre, le trouble résonnant toujours plus profond en eux, en nous… tu l’as pensé forcément et tu t’es dit que les enfants avaient trop à faire en hiver pour monter à cet arbre —, en face de cette fenêtre carrée, inoffensive et tragique comme un temple, où chaque vol d’oiseau dans l’hiver t’ouvrait en grand le ciel en écrivant l’oracle de ta journée, dans l’abri de cet appartement vide, « Le temple résume l’âme grecque. Il n’est ni la maison du prêtre, comme le fut le temple égyptien, ni la maison du peuple, comme le sera la cathédrale, il est la maison de l’esprit, l’asile symbolique où vont se célébrer les noces des sens et de la volonté », c’est une note dans un des carnets que tu as remplis à ras-bord pendant cet hiver-là, cet hiver ici, à écrire sur cette petite table de petits carnets méthodiques sous leur incroyable fouillis, et comme le vol d’un seul oiseau ouvrait l’espace de la fenêtre sur tous les ciels, lointains ou proches, dans le temps comme dans l’espace, de même ta pensée ouvrait le carré de la table comme une trappe, comme un passage vers les méandres obscurs du darkweb, où tu semais des traces et des curieux trop collants, creusant toujours plus profond, par delà le centre de la terre, jusqu’à cet autre monde où l’on marche à l’envers sans jamais tomber, et tout cela s’étendait simultanément vers le haut et vers le bas comme cet arbre sans feuille et qui sou son air mort se préparait pour le grand amour du printemps, cette bataille impitoyable pour la vie, cependant qu’autre chose de plus fou était déjà confusément à l’œuvre en toi, avec toi, échappant aux romans d’espionnages, glissant comme de l’eau entre les doigts avides de conclusions bien bouclées, d’énigmes résolues une bonne fois pour toutes mais jusqu’à la prochaine fois seulement, autre chose d’étal et d’insidieux, une chose des marais qui reliait en constellations des évènements improbables : la chasse aux sorcières d’antan — pas si vieille pourtant qu’on aimait à la croire et à se la raconter, une monstruosité obscurantiste du Moyen-âge —, les intrigues à tiroirs d’Émile Gaboriau, les milliers de kilomètres parcourus à leur insu par les somnambules, les rêves et leur souffle, un sanglier de métal, les galeries noires… J’ai dû m’endormir un instant.
Dis donc, c’est un zoom arrière cryptique, en plein milieu ? Mais je me demande si tu as devant toi l’entrée-sortie du labyrinthe (ça fait une autre catégorie, ça, les labyrinthes à une seule porte, ou le fond aussi imperceptible qu’infini. — Tu vois dans quel état ça me met, ce texte ? A côté, avec ma partie de baby-foot dans un troquet de Sauveterre, je suis petit joueur… C’est que je suis amputé de mes notes aussi. (Mais je ne les lâche pas, seulement, elles restent avec moi pour faire le lit du prochain texte.) — Je te rassure, je ne crois pas du tout à un rêve. A la rigueur un rêveil.
Mince ! J’ai encore été cryptique… c’est vrai que j’ai écrit ça à la suite de dialogue #05 | Ombre du grand D’ombre. Pour la fin, tu as raison, ça ne ressemble pas à grand-chose, mais à terme, le rêvoyage la justifiera peut-être (sinon, je bifferai). Pour le baby, tu te mets le doigt dans l’œil : y’a pas plus maniériste comme labyrinthe et je viendrai m’occuper de son cas très bientôt. Je pense fondre chez Coco avec la Secousse, rade identifié dans l’archive…
Ah non ! le « ça ne ressemble pas à grand-chose », tu es injuste. Moi je joue à la baballe avec le réel qui me la renvoie en pleine figure tellement j’ai oublié que je ne fais que le rêver. — Au contraire, tu prends le réel par les cornes du rêve. C’est cette capacité à déployer dans tes textes tout ce que ça draine d’imaginaire ceci ou cela, d’un lieu, d’une époque, bel et bien réels, qui est étonnant chez toi — et que je suis bien incapable de faire. — Nul besoin de biffer, sauf si les textes à venir le demandent. Affaire à suivre.
C’est cette capacité de jouer avec la réalité qui fait toute mon admiration, pour moi elle a d’emblée une drôle de tête. Toi, tu sais faire un pas de côté. Par élision, la structure en est le meilleur exemple. La structure… J’appelle l’endroit où je travaille « le château », tu vois, d’emblée Donjon et Dragon.Je trouve qu’on fait une sacrée bonne équipe aux étapes de nos ascensions si différentes… Je me demande bien quel toponyme tu vas choisir : c’est la première question que je me suis posée hier en entendant #03.