Elle est restée à la maison aujourd’hui, le petit avait mal au pied et ne pouvait pas marcher autant qu’il aurait fallu, alors elle est là à côté de lui dans le jardin, ils dessinent côte à côte, chacun sa page, chacun sa feuille, le petit ses feutres elle un stylo bille, le point précis où appuie le stylo bille, ce point où l’encre se pose sur le papier au gré des gestes, petits mouvements de dessinage rapide et précis, ou plutôt non, la précision venant peu à peu, de la répétition des petits gestes et de celle des petits bruits de la bille slalomant sur la page peu à peu foisonnante, le tout sur une table en bois simple posée sur la dalle au bord de l’herbe, on dit backyard pour ces jardins de derrière qu’on n’imagine pas depuis la rue, le jardin comme sa respiration du jour, son espace débarrassé de tous les cafards quels qu’ils soient, loin du travail loin de l’école, lieu des contrastes paysagers, le vert de la pelouse grasse à cette saison, le rouge de l’érable au fond et celui d’un noisetier pourpre à l’angle du mur, les couleurs ravissent le ciel et l’esprit s’élève par dessus la paroi de briques, de là haut elle examine les toits gris des maisons identiques et le patchwork des jardins à l’arrière, leurs étalages d’arbres, de sols carrelés, bétonnés ou gravillonnés, les pelouses naturelles ou artificielles, les étroites piscines, les parasols et ces engins circulaires entourés d’un filet dans lesquels sautent des gamins, à mesure qu’elle s’éloigne apparaissent les rues leur découpe géométrique dans la matière de la ville, soudain des lignes courbes qui caressent la droiture des avenues, les grands cimetières verts qui trouent la carte grillagée du quartier, reculant encore se dessine un entrelacs de veines et de veinules et là-bas la grande artère du fleuve, tout ce qui bat, la ville comme un gros cœur vivant gorgé du sang des gens, les lacs comme autant de taches sur une peau humaine, les océans leurs grands corps sombres collés contre les continents, le bleu de la terre toute entière, elle est à la frontière de l’atmosphère, prête à décrocher vers la nuit profonde, à la pointe du stylo bille se dessine déjà un corps étrange et rond recouvert d’une mappemonde, maman qu’est-ce que tu fais, il est bizarre ton dessin.
Bonjour Juliette,
Ah… les dessins monde… on les aime !
J’aime beaucoup cette image de la ville comme une peau parcheminée
j’étais avec le lac cuillère, cuillérée, et je croise » les lacs comme autant de taches sur une peau humaine ». Un foisonnement qui se déplie lentement avec des noeuds-images : coeur de ville sanguin, grand corps sombre des océans… J’ai aimé la densité des images.
Bonjour Juliette
On décolle, pour se retrouver dans la peau d’une mappemonde organique…