— «Y a d’la joie / Bonjour bonjour les hirondelles / Y a d’la joie / Dans le ciel par dessus le toit »
— « Y’a d’la joie » Tu chantes ça. Tu oses chanter ça, au jour d’aujourd’hui, avant la catastrophe ?
— Ben oui, il y a de la joie dans l’air. Écoute, les mésanges zinzinulent, les tourterelles roucoulent. Joyeux concert, n’est-ce pas ?
— Mésanges, tourterelles, ouais, encore que moins nombreuses. Mais là, dans ton tilleul qui embaume le miel, tu les entends, les abeilles, bourdonner, dis, tu les entends ? Non, rien, le silence.
— Le silence me va. Tais-toi. Tais-toi.
— Non, je veux te parler à toi, je te parle à toi, à moi, à nous, je crie ma colère.
— Et tu fais quoi, toi, avec ta colère, à part m’énerver ?
— T’énerver, te faire sortir de ton indifférence. Vraie, fausse, je ne sais pas ? Allez, viens, nous pouvons changer le monde, ensemble, toi, moi, nous, tu ne crois pas ?
— Belle utopie que voilà ! Non, mais tu y crois à ça, foutaise, à nos possibles devant… ?
— Devant quoi ? Face à quoi ?
— Par exemple, devant les abeilles de plus en plus rares dans nos vergers. Que faire ? Rien, nada, niet, c’est foutu. Tu le sais combien d’elles chaque jour disparaissent ?
— Oui, c’est très préoccupant, j’ai lu qu’en France près de 30% des colonies d’abeilles disparaissent chaque année.
— Et alors, qu’est-ce que ça change que je le sache ? Je ne suis pas la reine des abeilles, en train de pondre un œuf par minute dans ma ruche, à la belle saison.
— Et t’es quoi, qui ? Dis ? Un père, un grand-père pourtant ? Tu y penses à tes enfants, à tes petits-enfants qui devront affronter le monde que tu leur laisses ?
— C’est ça, j’y suis pour quelque chose dans ce monde qui se déglingue ; c’est ça que tu me reproches?
— Pas de grands mots, tu veux bien. Je ne te reproche rien. Je nous reproche à toi, à moi, à nous, notre peur, notre cécité, notre bêtise. Dis-moi, dis-moi, où est la joie aujourd’hui pour toi, toi qui la chantes avec Trenet ?
— Tu m’agaces, vas te faire voir ailleurs. Pas envie de te répondre. Je suis fatigué.
— Fatigué ?
— Oui, trop vieux, quoi, sans illusion, sans rêve. Laisse-moi chanter avec Trenet la joie avec les hirondelles au-dessus des toits. Tu veux bien, oui ?
— Putain, Fernand, désolé, mais les hirondelles, tu le sais, hein, tu le sais ? Elles sont de moins en moins nombreuses, moins 30% pour les hirondelles de fenêtre et moins 40% pour les rustiques. Elles sont même parfois devenues absentes, totalement, des lieux habituels de nidification. Tu l’as bien remarqué au printemps dernier ?
— Assez, assez, envie de me flinguer, tout oublier. Tu viens avec moi boire un coup au bistrot ?
Une conversation dans laquelle je me reconnais bien… en bien et en mal.
Merci Christiane pour cette piqûre de rappel !