Les érables poussent leurs branches vers le ciel. Tôt ce lundi les hommes d’entretien s’activent pour décorer la place. Des voiles légers d’un balcon à l’autre. Des lanternes chinoises aux teintes tendres, nacrées, éclatantes, rouge écarlate. Envie d’ailleurs. Le patron du resto vietnamien, nez en l’air, les admire. Il rêve d’Asie en plein cœur de Guillestre. Là-bas ? Ici sonne le glas, une âme a quitté la terre. Un attroupement sous le parvis de l’église. Il est 10 heures. Le doyen du village est parti ailleurs, laissant les siens dans la tristesse. Quoique ! Ca bavarde, ça cancane. Le curé calme l’assistance d’une puissante bénédiction. Tous s’engouffrent dans l’église. Il est 11h30. Cavalcade des enfants. Ils déferlent de l’école, virent leur cartable. Ils s’agglutinent autour des lions stylophores du réal, se disputent pour les enfourcher, caressent leur crinière de marbre rose. Ils parcourent la savane avec lions et léopards apprivoisés. Ils rient. Les endeuillés sortent de l’église attristés. Ils observent les enfants, imaginant lequel sera dans bien longtemps l’aîné du village. Le curé ferme la lourde porte avec fracas. Le bar le Central ouvre les siennes. Les habitués s’installent en terrasse. Choc des verres. Rires. Musique. Un hurlement : bon dieu, vous le baisez le volume, je fais la sieste, sinon… Le policier municipal justement se pointe. Paisible. Il discute avec le gérant du bar. Summertime en sourdine. Il est en pause. Il rit avec ses potes. Odeurs de bière-pression, de grillades, de riz, d’herbes aromatiques. Parfum des roses des plates-bandes et celui rose musquée de la petite vieille qui se presse. Elle se presse pour rattraper son chien plus gaillard qu’elle. Le chien pisse contre le bassin de la fontaine. La fontaine glougloute. Tische, Tishe, du calme, viens ici, crie sa maîtresse. Tishe fait un brin de cour à une de son espèce. D’amour il est devenu sourdingue. Un couple d’amoureux s’assoit sur le banc, ils se tiennent enlacés, tout près, tout contre. Seuls au monde. La place se remplit. Il est midi bien passé. Des familles s’installent devant Mastro Gelataoi. Les gosses lèchent leur glace, leurs doigts. Les mères tentent de les calmer. Elles commandent un Espresso, ristretto. Un accent d’Italie, léger, pas bien loin l’Italie, juste le col Agnel à traverser. Envie de rêver, être ailleurs, Venise peut-être. Il est 14h30. La libraire a sorti ses tourniquets de cartes postales. Ça alors, dans la vitrine, exposé, incroyable, mais vrai, le Kilo de Tarkos. Étrange coïncidence. Il est 15 h. Réunion de chantier devant la palissade grillagée qui, au nord, ferme la place. Les notables s’agitent, les architectes expliquent, les badauds observent. Une grande affiche donne un aperçu des bâtiments qui seront construits là. La rencontre s’éternise. Des protestations, non pas de logements sociaux au cœur même du bourg. 16H30, les écoliers sont de retour. Les filles jouent à la marelle, 1, 2, 3, soleil. Les garçons au foot. Les grands ont le nez plongé dans leur smartphone. Il pleut. Pluie de tout début d’été. Douce et violente, bienfaisante. Panique sur la place. Récupérer les cartables. Flip, flap, dans les flaques. Rentrer les parasols, les coussins, les cartes postales, le livre de condoléances. Plier bagage. Place déserte, désertée. Repli dans la salle du Central ou ailleurs. Musique, Je danse le MIA, s’y mêle le carillon de l’Angélus, trois tintements, une pleine volée. Il est 19 heures. Non, je ne remercie pas Dieu, notre monde est pourri, je rentre chez moi, à l’abri.
Une bonne tranche d’été, qui fait plaisir !
Merci, Christiane !
(Il a l’air chouette, le libraire de Guillestre !)
une journée si bien contée . Merci