Une employée, vêtue d’un gilet jaune vif, parcourt le couloir de la rame. Sans un mot, elle tend un sac poubelle, jaune vif lui aussi, aux passagers qui, sans un mot, y lancent leurs détritus. Elle se baisse ou se déploie pour attraper un gobelet ou une bouteille qui ne lui ont pas été remis. Sans un mot toujours. Une femme invisible. Ce qui retient le regard des voyageurs, c’est, quand elle s’éloigne, le sigle SNCF qui éclate en rouge écarlate sur le jaune vif de son gilet sans forme.
Dans la cahute-caisse de la station-service, on la devine à peine. On entend sa voix aimable pour un bonjour, bonsoir. Un minuscule guichet la relie au monde extérieur. On entrevoit sa main gauche saisissant la carte bleue. Ses ongles sont d’un rouge éclatant. Elle porte une alliance. Pour l’heure, elle est coincée dans deux mètres carrés, devant un ordi. Elle remet un ticket de caisse, veille au bon fonctionnement de la barrière de sécurité. Le soleil tape fort sur les parois vitrées de ce gourbi. On l’espère équipé d’un ventilateur.
Elle est aide-ménagère, elle travaille chez une veuve détestable, acariâtre. Dans le hall de l’appartement, faiblement éclairé, est installé un autel. Une urne funéraire, des bougies toujours allumées, de l’encens, des fleurs. Et le portrait du mari défunt, à la mine patibulaire. Une exigence de sa patronne : elle doit, chaque fois qu’elle passe devant ce présentoir, s’arrêter, saluer le maître de maison, se signer, faire pour lui une petite prière. C’est mortifère, dérangeant. Elle refuse, elle sera renvoyée. Elle écrase. Elle se tait. Elle a besoin de ce salaire.
Merci Christiane pour ces portraits, tristes, mais beaux.
Merci de nous faire voir celles qu’on ne voit pas.