Un rituel lors de mes vacances en Bretagne. Laisser tomber famille et amis. M’offrir une pause chez Ty Pierre, le bistrot de Roscoff entre port et rue piétonne. Commander un verre de chouchen bien frais. Sortir mon carnet de notes, dans l’espoir improbable de les mettre à jour… Écrire, dans ce soleil, cette douce brise, cette odeur de varechs et d’algues ? Ecrire entre deux lampées de ce breuvage des dieux à la saveur de miel ? Écrire ? Rêver ? Observer ?… Amusante, cette grosse dame assisse sur une bitte d’amarrage ! — Attention à l’orthographe : ce n’est pas bit, bitcoin, bite, mais bitte avec deux t, un boulard, quoi ! – Son mari agacé l’appelle ; elle, arrimée là, peinarde, semble décidée à ne pas bouger. Oui, marrante, je pourrais la croquer si j’en avais l’appétit ! Plutôt laisser passer le temps, m’abandonner dans la lumière nacrée, bercée par le clapotis des vagues sur les coques des bateaux, bousculée par le grincement des haubans, égayée par les rires des enfants sur le manège qui grince. L’écrire ou le vivre simplement ? Et soudain, dans ce tintamarre, m’étonner : manque des voix qui m’étaient familières, celles de nos voisins anglais, bloqués par le brexit dans leur île et qui désertent Roscoff et ses magasins de wine and spirits. Et me vient à l’esprit l’histoire des Johnnies. Je pourrais – voilà une belle idée – me documenter, en faire récit ou roman, écrire leur départ en gabarres à voiles vers le sud de l’Angleterre, leur porte-à-porte de maison en maison pour vendre leurs lourds chapelets d’oignons, les oignons rosés de Roscoff, à nuls autres pareils, trésor-merveille. Pour l’instant, fermer le carnet de notes, sortir les cartes postales à envoyer à mes vieilles cousines, deux ou trois mots aimables : je pense à vous qui aimez tant la Bretagne. Devoir accompli, filer vers les quais — les bateaux de pêche entrent au port– acheter pour la maisonnée des pétoncles et ce soir, les préparer avec des tagliatelles, un peu de jus de citron, un rien de safran, des herbes fraîches. Régal. Et ranger sagement mon carnet de notes dans le secrétaire face à la mer, oui, demain, j’écrirai sans doute…