Sein, je reviens vers Toi, tu m’étonnes à nouveau. Posée sur l’océan, « comme crêpe de dentelle » dit-on parfois, minuscule, 2 kms en ta longueur, et là justement en ce resserrement de toi où j’écris, langue de terre d’une trentaine de mètres, les jours de tempête, de grandes marées, les vagues te submergent, tu disparais. Toi, presque rien, un caillou protégé par ton phare et tes menhirs. À la toute fin du Finistère, ainsi je te situe moi qui viens du sud, de Marseille, de l’est, des Hautes-Alpes ; je te dis fins du monde, tu peux m’en vouloir. Toi, tu es fière d’être Penn ar Bed, la tête du monde, le début de l’Europe qui commence devant toi.
Écrivant, une chanson m’accompagne, elle m’a été soufflée par une voix amie. Il est un estuaire / Un long fleuve de soupirs / Où l’eau mêle nos mystères / L’autre Finistère *. Oui, en moi, d’autres finistères, des lieux que j’ai parcourus avec celui que j’aimais, où nous avons mêlé nos mystères et nos belles différences. Toi, Sein, largue tes amarres, arrache tes ancres à la mer, deviens radeau, emporte-moi. Avec toi je voguerai vers l’ailleurs, plus loin encore, comme Pythéas, le massaliote, je découvrirai Thulé puis à perte de vue la mer gelée *. Je rejoindrais Mare nostrum, la Méditerranée, je caboterai le long de ses rives. Les Baléares, le Maghreb m’ouvriront leurs ports, je saluerai l’Etna, je déambulerai dans l’île de Lesbos, je serai au Pirée pour d’autres embarquements, vers Cythère. Tu deviendras tapis volant, je survolerai Naples et Istanbul, filerai vers Samarcande, repartirai vers la chaleur du Cameroun, du Bénin, vers les sables du désert. Là je planterai ma tente et bivouaquerai sous les étoiles. La Croix du sud scintillera de mille feux et t’indiquera la direction du sud. Demain sera un autre jour, une autre nuit et dans le ciel l’étoile polaire saluera notre retour en mer d’Iroise.
* Les Innocents – album fous à lier – 1992**
**À perte de vue la mer gelée – François Garde – Paulsen 2021
Une île aimée comme tapis volant, quelle magnifique idée à contre-pied des enracinements qui laissent toujours nostalgiques. Heureuse de retrouver la chanson des Innocents. Nous sommes tous et toutes des insulaires imaginaires sans le vouloir, ni le savoir. Archipels des écritures…