Samedi 31 juillet 2021, 10 h du matin
La grande place de Châteauroux (les Alpes), la bouquinerie Rions de Soleil me fait face. C’est une grotte pleine de merveilles, rayons couverts de livres chinés à travers le département – et plus loin encore –, une ouverture sur l’ailleurs, un labyrinthe. Pour moi, un lieu de rencontre. Hier soir, S.C. et C.D. présentaient leur recueil photos-textes Outrebleu(s). Aujourd’hui je viens chercher un livre sur Botero que j’ai retenu. C’est une grande joie. J’adore Botero, ses femmes sensuelles, luxuriantes, ses hommes grassouillets et leurs fines moustaches – cependant légers et pleins de grâce quand ils dansent –, leurs siestes coquines dans les champs, et ses toréadors et sa Mona Lisa qui, avec ses trois mentons, sature l’espace de la toile…
L’Épicerie Littéraire ( à côté des livres on y trouve des produits locaux, du miel délicieux, des herbes.., d’où son nom) ouvre ses portes. Je me précipite. J’ai en main mon trésor, Botero, Dibujos y Acuarelas, préfacé par Mario Vargas Llosa. Ma petite fille sera ma traductrice. Sur la couverture, m’accueille une femme vêtue de rouge, elle prend la pose, sérieuse, bouche minuscule attirante, yeux fixes, chevelure rousse opulente, elle majestueuse en chair. Un immense merci à Yves, notre bouquiniste qui tire toujours vers le bas le prix de ces bouquins d’exception. Le mien, je le feuillette. Je m’émerveille. Je ris. Autour de moi, des oh, des ah d’admiration. Moment intense avec celui qui a fait éclater les formes, les cuisses, les joues, les bras, bouffer les robes…
Mon portable sonne. Tiens, j’ai oublié de le mettre en veille. Pas envie de répondre. Oui, pourtant. Et c’est le choc. La voix stressée de l’infirmière qui devait passer faire un pansement à ma fille, un soin de routine : Florence a des problèmes respiratoires, j’ai appelé le SAMU, les pompiers la conduisent à l’hôpital de Briançon.
Devant moi, le livre de Botero clamant la joie de vivre. Sans moi, ma fille partie en urgence vers l’hôpital, la maladie, hors la vie. En moi, le vide, la sidération. Je suis incapable de parler, de dire à l’amie proche ce qui se passe, je ne ressens rien, je suis figée, absente. Je dis : je dois partir. Je me dirige vers ma voiture, je serre Botero entre mes bras. Je m’accroche à Botero. Je pars vers Briançon.
Là où tout était parfait, le réel vient s’interposer douloureusement.
Merci Christiane pour cette histoire qui, je le souhaite, n’est pas autobiographique…
Merci pour ce beau texte tragique et littéraire.