Il y a en moi un autre, papillon de nuit aveuglé par la lumière obscure réverbérée par les murs de sa prison, affolé de ne pouvoir trouver la sortie, et l’autre qui l’enferme à double tour, gardien amnésique ayant perdu la clé, sanglé dans sa sévérité sans but, centré sur sa tache, accomplie sans désir, juste pour ainsi maintenir la ligne, l’essence même de cette vie ignorante.
Et maintenant je suis mort, mais pas plus avancé, car ma voix résonne blanche et sans timbre, onde négative d’une présence qu’on ne peut véritablement cerner et qui pourtant s’obstine à hanter les lieux de la mémoire, s’infiltrant dans la lumière matinale d’un printemps sans promesse autre que la répétition infinie de sensations vagues, imperturbable rappel à l’ordre auquel tout obéit, même le moindre bourgeon dans son espoir dérisoire d’être un autre, voix blanche qui s’effraie même un peu de son pouvoir, le regardant s’accroître et s’enfler au dessus des êtres et des choses, obstiné boutoir qui ébranle la porte de l’infini sans savoir si derrière il n’y pas le néant, une vibration pas plus. Et la courbe sinusoïdale de nos êtres parfois se rencontre. Vraiment je suis mort et je ne le sais pas. Je t’écoute mais je ne t’entends pas; plus fort que moi, plus fort que ma parole il y a le lieu qui n’a d’autre volonté que de venir au jour, il parle et c’est lui qui vient toucher mon oreille, il parle et son balbutiement n’a pas plus de force que l’instinct, c’est à dire beaucoup plus que ma simple volonté, hésitante et molle devant tant d’efforts à devoir défaire le monde. Je parle la voix des choses, elles se mêlent en un brouhaha indéchiffrable je ne les écoute pas quand elles me traversent ainsi, la raison est seulement mécanique; la raison enchaîne mes images plus sûrement qu’aucun tyran jamais ne le fit. D’un seul tenant il est sorti de moi, tout armé de son bruit qui bourdonne étrangement, c’est à dire dans une autre dimension que celle où je suis maintenant aveuglé espérant dans mes tâtonnements maladroits le rejoindre et l’espace s’étend, nu et froid devant mon regard transpercé, et rien ne compte que l’emportement dont la force pousse. C’est un peu plus qu’un simple trait, un vecteur, une impulsion sans cesse renouvelée dépourvue de nom et d’origine traversant les espaces infinis pour y rayer le vide. Mon temps n’a plus de limite, je m’égare dans une attente démesurée mes pas s’en vont comme les paraphes d’un nom sans mémoire, ah ! si seulement je pouvais, mais quoi ? Quel souhait au bout de ces soupirs mille fois répétés ? Et qui pour les lui adresser, qui pour exaucer des vœux ignorants de leur voix. Et pourtant ça crie en moi, les portes grincent dans le dédale où continuent de tourner les enfermés comme à la parades, et les murs résonnent d’un gravier écrasé, d’un pas muet au rythme maladroit, d’un peu de cet espoir que le bleu du ciel vient parfois dessiner au-dessus de ma tête. Pauvre tête, si faible si malhabile à contenir en elle tant de lieux qui l’écrasent et la broient. Ils ont tous disparu, un à un dans ce caillot de sang qui m’a soudain fait trébucher et depuis comme ma langue bute sur la phrase, comme le mot résiste à l’œuvre de ma langue, comme elle est infinie la peine qui me noie. Mais de ce qui résiste, que reste-t-il ici ? Car il faudrait que mon esprit s’évapore et qu’il me dicte ainsi la trace de mots inconnus, hybrides venus du fond des âges, ectoplasmes fuyant de la réalité sans nom où ma main engourdie n’effleure plus la forme des choses disparues, englouties, immergée dans un abîme d’inconsistance, plus dure et plus compacte que n’importe lequel de vos mondes.
Entrainé par le texte, lu d’une traite… j’aime la question qui éveille soudain une voix dans notre tête : « ah ! si seulement je pouvais, mais quoi ? Quel souhait au bout de ces soupirs mille fois répétés ? »
C’est le point de départ en fait, le point de contact avec le réel