C’est pour les jours où possibilité et nécessité se rencontrent. La jonction n’est pas toujours évidente. Tour et tour d’horizon quand les temps sont durs. En partant, vérifications d’usage : avoir bien au fond de la poche ou dans le tote bag le matériel, les éléments. Pas trop lourds surtout. Partir à pied avec en tête les rendez-vous invisibles et incontournables. Dans l’enceinte, pour commencer : au-delà des buissons qui donnent sur le terrain de jeux, un peu de pelouse basique. A cet endroit sera lancée une première petite poignée de graines et d’idées minuscules (un mélange de gazon japonais et de nigelles) avec promesse de pluie tenant au ciel qui se chargera de l’arrosage. Parler avec les enfants du dehors. Ensuite, le long du stade, au niveau du dojo portant le nom d’un ancien du lycée – déjà sportif de haut niveau à l’époque, et délégué des élèves en mai 68 –, se concentrer sur la respiration ventrale : hommage à celui qui a mis en lumière un art martial désormais populaire. Rien de spécial en changeant de rue à part un questionnement sur ce que cache la clôture de chantier en PVC blanc. Si, quand même : prendre le feutre pour y inscrire un point d’interrogation, pas trop grand. Marcher sans oublier de regarder l’olivier dont les branches dépassent d’un mur. Le moment venu, beaucoup plus tard, il y aura de quoi remplir un petit pot, juste avec ce que personne ne cueille. De même, prélever pour le bouquet rituel à offrir quelques fleurs qui s’échappent du grillage chez le pépiniériste et traverser une nouvelle rue pour aborder en diagonale le petit parc. Observer les agrès en plein air et pratiquer l’exercice mentalement en regardant celui qui s’évertue. A l’autre bout, laisser parfois un livre sur le banc à côté des marronniers. Se demander qui le lira. Deuxième lancer de graines. Sortir de là et observer l’avancement des travaux : une nouvelle résidence sort de terre. Se souvenir du numéro sur le panneau pour ceux qui seraient intéressés. Tourner à droite et aborder la montée. Une église, porte entr’ouverte, jouxte le domaine entourant l’hôpital des enfants avec lesquels on chantera encore. Faire halte près d’une icône, flamme d’une bougie, une vocalise et c’est reparti, jusqu’en haut. Plateau avec ponctuation du cimetière. Y entrer, relire le vers de Virgile sur la tablette voulue par Stendhal : Là tu respireras la fraîcheur obscure. Voir ce qu’il voyait à ce moment-là : le déroulé de l’immense ville tout au fond. Noter ce qui advient avant de quitter les lieux pour redescendre en empruntant les marches cassées dans le petit bois puis retrouver le pré où trois vaches Pie-Noire paissent dans un décor improbable incluant au lointain la tour Eiffel. Les appeler pour voir, leur donner de l’herbe tendre le cas échéant et quelqu’un s’arrêtera sans doute pour en faire autant en remarquant qu’en plus d’être là, nettement insolites, elles donnent du bon lait. Saluer, et continuer la descente en coupant par un sentier derrière les maisons du lotissement. Là, constater que les jardins complémentaires se sont développés, nourrissant les circuits courts. Au passage, cueillir quelques griottes pour le clafoutis du soir sur le cerisier redevenu sauvage le long du chemin, ajouter au bouquet rituel des ombelles et passer par les Huit Arpents. Scruter depuis la souche le petit étang déserté par le héron, prendre les dernières notes avant le retour dans la cité. Donner le bouquet au premier venu. Partager le clafoutis. Ne regarder à l’écran aucun message, aucun assaut, tant que la boucle n’est pas bouclée. Recommencer ailleurs, autrement.