Après la chute nocturne, c’est là qu’elle a été transportée. Passer du nord au sud pour espérer la voir. Structure hospitalière dans la ville où tu as été lycéenne il y a longtemps. C’est étrange : jamais à l’époque tu n’avais remarqué l’hôpital. L’homme de l’entrée en deux gestes brefs indique port du masque et gel dans le flacon. Ensuite, le couloir à emprunter. A l’extrémité un interphone plutôt vétuste. Où appuyer pour dire qu’on est là ? La petite salle d’attente n’est pas engorgée, ça devrait aller vite. Mais l’interphone semble vraiment inutilisable. Reste à s’asseoir, pas trop loin de la porte derrière laquelle se cache le service des urgences. Puis changer de place : si la porte s’ouvre, on ne te verra pas et tu ne pourras pas être en face pour obtenir des renseignements. Regarder tout autour. Des murs vaguement beiges et au moins quatre grandes feuilles scotchées attirent l’attention : manque de personnel, conditions de travail indignes. Tout est souligné, indiqué en gros caractères, écrit à la main. Colère dans le silence des feuilles scotchées. Dans un coin, un paquet de documents à compléter est posé : de la lecture. Tu jettes un œil, en attendant : déclaration de directives anticipées concernant un éventuel refus de soins pour la fin de vie. Ce doit être normal, on est aux urgences mais le lien avec la fin de vie doit-il être souligné cash, dans le moment-même de l’attente ? Tu ne sais pas, tu cogites et la porte à double battant s’ouvre brutalement. Tu veux te précipiter mais le nom prononcé par la femme en blouse blanche n’est pas le tien et d’ailleurs quelqu’un s’est déjà engouffré. Il y a des priorités. Il faut donc continuer de prendre en patience le mal d’attendre. Heureusement tu as toujours un livre dans ton sac mais tu ne parviens pas à entrer dans le sens de ce que tu lis. Non décidément c’est trop long, d’autant que d’autres personnes sont arrivées dans l’intervalle, se sont assises (et là il n’y a plus de place), ont regardé les affiches scotchées et le paquet de documents dans le coin après avoir constaté que l’interphone ne fonctionnait pas. Personne ne parle et tout le monde attend. Quand la porte à double battant s’ouvre de nouveau brutalement tu n’es pas la seule à te précipiter mais cette fois tu es prête à tout : il faut que tu saches. Coup de chance, c’est une toute jeune interne qui te répond et te dit que les résultats ne sont pas encore arrivés. Mais ma mère est là, elle. Je peux la voir, quand même. Elle serait rassurée. La jeune interne dans l’entrebâillement jette un coup d’œil et perçoit la pression : tous ceux qui se sont précipités en même temps que toi veulent savoir, eux aussi. Alors elle te dit, à la dérobée : il faut compter encore deux heures. Vous pouvez aller faire un tour. Quand vous reviendrez, présentez-vous à la sortie du service. On ne peut pas entrer par là mais exceptionnellement je vous attendrai. Vous pourrez la voir, rapidement, et je vous dirai pour la suite. Tu ne sais comment la remercier. Deux heures à tuer. Tu marches dans tes souvenirs de lycéenne, tu compares. Ce qui reste, ce qui a changé. Tu reviens. L’homme de l’entrée en deux gestes brefs indique port du masque et gel dans le flacon. Mais cette fois, tu ne te diriges pas vers l’entrée des urgences. Tu es attendue comme une passagère clandestine à la sortie du service. Une chance.
Une expérience hélas archi-connue depuis les cinq dernières années, Cette impression de non-accueil, de méfiance et d’intrusion dans un monde hospitalier qui ne peut plus faire son travail avec calme et sérénité. Oui, il faut témoigner et réclamer aux politiques qu’on retrouve l’éthique de l’hospitalité et du soin, même en urgence. Merci pour votre texte qui rejoint certains des miens. On vous attend jusqu’au 20 si c’est possible ! Cordialement.
Bien sûr on sait, on y est quelquefois passé, on entend à la radio, mais le texte dit quelque chose de plus : l’humain, la tension, et décrit très bien l’attente.