je suis assise à mon bureau – pressée par l’heure du rendez-vous administratif obtenu grâce à l’Agence Nationale des Titres Sécurisés – rivée à ma gueule d’étamine accrochée à la photo à coller à la mairie de Talence, sur le formulaire de demande de Carte Nationale d’Identité – si fière et très nationale à mon bureau vernis de bois exotique, à caresser du bout de l’index la silhouette grasse des caractères épais de la police administrative du formulaire qui régit la photo : ne pas sourire, garder la bouche fermée sur les dents rentrées et ne pas les montrer, ni surtout d’ombres portées sur le visage, qui flotte sur le fond clair de la photographie de 3,5 sur 4,5 cm – visage à dégager, à dégager ! visage lunaire , paysage de dunes blanchâtres sous l’éclair aveuglé du flash du photomaton du Petit Casino de Talence – si fière, et si Nationale, de mon visage sans sourire – photo à coller dans le cadre noir au haut du formulaire de demande d’identité, photo à plastifier selon la procédure ad hoc sur la carte format carte bancaire sur laquelle l’Agence Nationale aura tatoué mon identité – ma nouvelle carte va remplacer le formulaire de déclaration de perte de l’identité, qui me suit partout soigneusement plié en huit dans le petit porte-monnaie de cuir rouge, qui me suit partout, de sac à dos grand format en micro sac très féminin à chaînette dorée – et mon visage identifié flotte au-dessus de mon corps, mon visage de 17H45 sueur mêlée de cheveux collés qui s’agglutinent sur mon front, qui abrite mon intimité cérébrale, d’hémisphère en hémisphère je vogue librement, sans mes papiers – c’est mon Identité…