Cinser: passer la cinse (la serpillière, le chiffon) « j’va cinser » dit Odette. Je suis Odette. Je suis la cinse. Le mot cinse est un sol; le mot cinse court au sol. Laver le carrelage à grands seaux. Jour d’été: enfance. Sol qui se métamorphose, couleurs, formes, vernis d’eau éphémère comme à la surface du caillou, ces brillances tirées de la mer ou du ru. La serpillière se grise: « Qu’cétait bin sale tous ces moutons plus que chez Jeanne ». L’œil se grise; voir à ses pieds (petons) la flaque domestique, y marcher d’abord puis sauter… voir dans la flaque la guêpe se débattre, voir la mort. Baisser la tête vers le grand trou: le sol s’abîme. Jeter la poignée de terre prise au sol. Plus tard se laver dans les eaux que l’averse a fait au chemin. On ne cinse pas la terre du jardin on l’arrose. On peut cinser le pont du bateau, cinser le plancher du théâtre ce n’est pas interdit non plus. Passer le pinceau télescopique sur la toile, peindre au sol, se courber: peindre l’immense toile broquetée (tendue au sol à l’aide de broquettes, ces petits clous de tapissier anthracites), on peut « dripper» comme danser ( de « dripping » laisser couler des filets de peinture liquide vers le sol à l’aide d’instruments divers) et voir la couleur cheminer, s’étendre, s’éprendre du sol; puis de l’échelle, à bonne distance verticale plonger l’œil vers le sol et restaurer la perspective. S’être levé du pied droit ou du gauche, ressentir la douleur. Tu as marché sur un fragment d’hier, du verre brisé tu te souviens (pas de tes noces). Voir le sang et chercher le fragment assassin. Le sol regorge de trésors et de dangers (gare ou tu mets tes pieds. « va cinser mets tes chausses »). Chercher un éclat de verre et trouver la bague ou la balle. Scruter la terre: tout un monde. Elle grouille: scarabée, cloporte, scolopendre, ver, perce oreille, tique… se coucher à même le sol, il ou elle te dévore. Lits à terre, lits de terre, lits poussière. Sur combien de sols aviez-vous dormi? Sol d’herbe, oreiller de mousse, des bras te soulèvent et te couchent dans ton lit parapluie; tomettes pour la fraicheur; sable d’une plage et réveil humide et puces de mer; dalles de pierre, sur le dos à l’œil, scruter la voûte. Motifs dans le tapis, s’étendre un chien de fusil suivre avec le doigts l’entrelacs de fils rouges et de noirs. Marcher jusqu’à New york, sur la gauche ce quai brûlant. Bitume. Béton. Puis ce toit. Goudron fondu aux rayons… Dans l’Ile un chemin de terre, racine, cailloux même un hibou gare aux genoux, au bord d’un fleuve… des bandes podotactiles t’alertent… dans la cour gelée, courir, vol plané, Colombes… sol cinétique ou mosaïque à Venise, une foire … dalles de verre, verre sur vide, vertige, un sol se dérobe, KO, chuter… tu t’ancres, sur le pont du bateau qui divague, accrochée au bastingage tu regardes au loin: Odette marche sur les eaux et cinse…
J’adore ce texte et pense immédiatement vécu par celles et ceux qui l’ont vécu – et aussi l’appellation différente selon les régions dans le monde . Mais la gestuelle se ressemble ou se particularise… Je suis une grande pourfendeuse des manches à serpillières qui sont aujourd »hui des bandeaux larges qu’on lave à la machine… Mais où sont nos balais brosse d’antan où on se prenait des échardes en forçant ? Je rêve que quelqu’un nous offre un petit engin motorisé à disques pour faire la maline dans l’appartement ( seulement dans le couloir et le hall ). Je ne suis pas une « technicienne de surface » diplômée, mais j’aime aussi cette sensation et cette odeur de propre provisoire dans un logis. Beaucoup à dire sur cette thématique. Merci d’y avoir pensé ! https://francaisdenosregions.com/2015/08/09/comment-appelez-vous-la-piece-de-tissu-que-lon-utilise-pour-nettoyer-par-terre/
Merci beaucoup Marie-Thérèse et pour le lien. Le balai brosse me plait aussi (et peut servir à peindre)
(j’ai pensé à ça : http://luciensuel.blogspot.com/2017/03/angele-ou-le-syndrome-de-la-wassingue.html – de Lulu deuch’nord) (un bien joli prénom qu’Odette en tout cas) (merci à toi)
ça a l’air bien le livre de Lucien. Merci Piero
« Regorge de trésors ». Oui, votre texte. Merci Nathalie. Magnifique. Magicien.
Le regard ne plus s’en détacher de ces sols qui s’inscrustent en nous, matières, textures, sonorités, douleur. Moi qui n’ai que très peu le sens de l’observation, j’apprends.
Ugo, Helena merci pour vos lectures .