C’est juste une fenêtre grillagée à hauteur de passants, une fenêtre banale à deux vantaux protégés par des barreaux comme d’une prison, une fenêtre qui perce une des dernières façades décrépies de la rue de Charenton toute pomponnée pour mieux oublier ses souvenirs: … Elle constitue l’arrière d’une des nombreuses boutiques du faubourg, boutique de fringues ou de sneakers, autrefois de meubles de style quand le quartier bruissait encore des sons produits par les outils des ébénistes. C’est une des rares façades à n’avoir pas changé depuis le temps où je sortais de l’immeuble lui faisant face, immeuble rasé au profit de l’érection de l’Opéra, immeuble délabré où ma sœur louait un studio à l’une des ses amies, que je squattais pendant qu’elle découchait chez son ami. Voir ces barreaux me remet en narines l’odeur de chou fermenté provenant du traiteur yougoslave du rez-de-chaussée qui remontait tout l’escalier peint d’une peinture marron copieusement lacérée aux encoignures duquel grimpaient des tuyaux suintants et bouffés par la rouille contre lesquels se plaquaient nos voisins, jeunes travailleurs marocains, pour nous laisser le passage. Quand je sortais au petit matin, la première chose que je voyais, c’était cette fenêtre comme d’une prison.
Une colonne de petits grains noirs, un peu plus gros que des grains de pavots, un peu plus noirs que des grains de caviar :… les pucerons qui escaladent une tige de capucine sur mon balcon avant que je les douche à l’eau vinaigrée.
Depuis la passerelle, on les voit se dresser, elles se tendent un miroir l’une à l’autre, et au ciel, et aux nuages, tellement jumelles, tellement isolées, tellement incongrues : …Construites en 1977 par la SAEP, société désormais rattachée à la holding Eiffage, les Mercuriales sont situées à Bagnolet, aux abords du périphérique et de la passerelle piétonne qui prend son départ au métro Gallieni, entre les rues Jean-Jaurès, Adélaïde-Lahaye, Sadi Carnot et l’avenue Gambetta. Elles portent le nom de « tour Levant » (à l’est) et «tour Ponant »(à l’ouest). Ces tours faisaient partie d’un vaste projet de quartier d’affaires de l’Est parisien. Ce projet a été interrompu lors du premier choc pétrôlier abandonnant les tours isolées sur l’échangeur de l’autoroute A3 et la Seine-Saint-Denis à sa pauvreté. L’architecture de ces tours manifestait pourtant une ambition certaine en s’inspirant des tours jumelles du World Trade Center de New York à une altitude plus modérée, car si elles sont les troisièmes hautes tours de Seine St Denis derrière la tour Pleyel (129M) et celle de la Villette (125M) on reste loin des 417M des Twin Towers. Après un projet hôtelier avorté, la société foncière Les Mercuriales est actuellement en liquidation judiciaire.
C’est une plaque en marbre gris posée contre la grille mangée de lierre du petit square de la place Léon Blum, anciennement place Voltaire, une plaque mémorielle, non loin de la statue de Léon Blum érigée devant la mairie du11e: …
Sur cette plaque sont inscrits ces mots choisis par la mairie « En souvenir de tous les chevaux réquisitionnés rassemblés ici même et envoyés au front à partir du 3 aout 1914. Un grand nombre y sont morts. En hommage à leur sacrifice à côté des combattants. » « Avec cette plaque, c’est l’oubli de l’Histoire des animaux qui recule » a commenté Amandine Sansivens , co-fondatrice de PAZ ( Paris animaux zoopolis) association qui avait proposé l’apposition de la plaque sur la façade de la mairie (représentant l’état responsable des chevaux sacrifiés) et cet autre texte :« Ici, le 3 août 1914, des chevaux furent réquisitionnés. Des millions tombèrent au front. Aujourd’hui, c’est pour notre plaisir qu’ils continuent de tomber. Considérons-les enfin comme des individus sensibles.”
les trois lieux marquent un Paris qui côtoierait une science fiction fictive ésotérique (je n’ai jamais vu cette plaque aux chevaux mais ce qui préside à cette monstration de la culpabilité fait froid dans le dos) (à pleurer) – l’abandon des deux Mercuriales (qui est aussi, entre autres, le nom d’une plante, mauvaise herbe comme disent les aficionados des pelouses rases et rangées) a quelque chose de l’horreur de notre monde (les morts de la rue…) – tout ça pour quoi ? – ici et maintenant…(en tout cas merci)
Merci pour les chevaux qui se reposent sous l’oeil bienveillant de Léon. Un bonheur de lire cette plaque inattendue.
Merci Bernard pour cette lecture. je ne sais pas si la plaque est à même de consoler les chevaux…
Tu nous fait vraiment voir ce qu’il y a à voir, que l’on connaisse ou pas les lieux décrits, c’est très fort. J’ignorais que les Mercuriales étaient le vestige d’un plus vaste projet.