Sous ma ville, cette autre ville, une autre ville grouillante de l’humidité, de la nuit et des odeurs que nos corps y déversent, pour chacun de nous au-dessus, deux ou trois en dessous, on dit qu’un jour ils sortiront, avec leur reine, pour nous soumettre : la ville des Rats.
Une grotte perdue au fond d’une cave, des traces d’entailles disent le travail des anciens, des cercles de cendres disent les hôtes de passage, au fond, un puits assez large pour qu’un corps puisse s’y glisser, il s’enfonce dans l’obscur, parfois un souffle remonte : la grotte des Enfers.
Sur la place mythique, la vieille fontaine, un jour son eau est devenue sang, un sang noir bien épais : la fontaine de la ville qui saigne.
Une maison de pierres noires, close sur son dedans de maison de pierres noires, les habitants n’osent plus y entrer, ce serait profaner, profaner et risquer de libérer ce qui est tapi à l’intérieur, les habitants, les préserver de ça : la maison du Diable.
Ces deux maisons avec au dedans ces pièces en plus, invisibles depuis le dehors : la maison de la sorcière et la maison des feuilles.
Dans ces immeubles, ils disent qu’ils entendent des cris dans la nuit, de plus en plus souvent, des pleurs aussi, ils disent que plus possible de dormir, de vivre ici, comme si au milieu d’un cimetière de vivants : cité de la Muette.
Deux immenses rochers sombres et lisses empilés comment et par qui, cette impression d’un équilibre instable, un jardin municipal a été organisé tout autour, près d’eux on entend jamais le moindre oiseau, on s’y attarde peu, il parait qu’à la nuit sans lune, certains viennent s’y frotter : les roustons du Diable.
Ils sont tous alignés, bien sages sous leurs vitrines, dans leurs bocaux, les animaux, les monstres, les mystères et autres curiosités, dérangés parfois par un ronflement du gardien, un craquement du parquet sous les pas d’un visiteur ou d’un rat et par la poussière du temps : le musée municipal.
Dans sa nuit, vide d’hommes vivants, certain.e.s y vont roder et racontent que parfois, le sol tremble, on raconte ça : entre les tombes du grand cimetière, ça tremble.
Ce quartier sans plan, ce quartier d’un autre temps, ce labyrinthe de maisons et ruelles obscures, rares sont celles et ceux à le trouver, à y entrer et à en ressortir : le quartier perdu.
Cette ville jumelle de ma ville de l’autre-côté des océans, cette ville littorale, gluante et poisseuse de la peur qui rampe, ses habitants insanes et puis sa destruction par l’armée : Innsmouth, Comté d’Essex, Massachusetts, États-Unis.