Tu sais que si tu y entres ce sera comme si tu y avais toujours vécu et que leur vie deviendra la tienne. Aucune surprise, aucune découverte, si ce n’est le faible tremblement que la nuit apporte au jour. Si tu y entres, le portail sera toujours fermé, quelle que soit ton envie de partir, et tes pas parcourront les mêmes chemins sans cesse. Si tu restes, tu porteras leurs chagrins, cette plaie qui ne s’est jamais refermée depuis, tu diras aux enfants des autres de venir jouer sur la terrasse avec les chiens. Cette balançoire vide tu sauras pourquoi elle est là, avec quel espoir ou allégresse elle a été installée. Tu sauras si tu l’as vite oubliée ou si elle finira par disparaître comme le rocking-chair rouge et le palmier malade. Tu auras leur regard résigné et tu attendras que le temps passe, t’occupant des menues choses dont s’occupe la vieillesse. Tu veux voir ton image pour toujours accrochée à ces murs blancs ? Alors, fais le chemin à l’envers. Contente-toi de l’imperturbable et de ce que tu ne comprends pas, redeviens celle qui regarde ou qui passe.
Texte repris du prologue : Si on rate le virage, on rentre dedans. Il serait souhaitable de rentrer dedans sans louper le virage, mais cela n’est pas possible. Elle intrigue, car ce que l’on voit de la route n’est pas suffisant pour satisfaire notre curiosité. On voudrait l’envers du décor, pas cette pelouse impeccablement tondue, les palmiers nains, l’araucaria toujours verts, les deux chiens nonchalants près du portail, surtout pas cette immobilité, ces volets fermés, ce dédain envers le monde qui n’est pas le leur. On envie le paysage de l’autre côté, leur vie de l’autre côté, leurs joies et leurs chagrins de l’autre côté, on voudrait se voir nous-mêmes de l’autre côté. Il suffirait de rater le virage : la villa blanche à la sortie de la ville de Santiago do Cacém.
Ce texte est envoûtant. On a envie de savoir, au risque suprême de devenir son ou ses doubles.
Merci Helena pour ce beau et trouble moment de lecture !
Oui, c’est un risque ! Il faut faire attention à ce que l’on désire. Merci, Fil, pour ton passage et ta lecture !
je l’ai ressenti comme énigmatique et très beau, ce texte nous échappe (je n’avais pas fait le prologue… peut être est ce pour cela ?)
peu importe, je le prends comme tel, il existe seul derrière mes volets fermés et mes rideaux tirés à cette heure où le soleil frappe
Merci, Françoise, pour ce si beau commentaire. C’est drôle que je ressens aussi que les mots échappent à mon contrôle dans cet exercice d’écriture quotidienne. C’est une étrange sensation, mais je laisse faire. Curieuse de lire ces textes avec du recul, pas toi ? 🙂
tout est somptueux, chaque ligne chaque mot, chaque virage, c’est hantant comme le vent dans l’air qu’on fronde à vélo, le codicille aussi beau que la pierre maîtresse – donne envie de tout relire
Merci infiniment, Françoise, pour vos commentaires toujours si beaux et inspirants !
je me souviens, oui, j’y suis passé – je suis allée de l’autre côté de la petite vallée qu’elle domine – il y fait trop chaud, je me souviens du rocking-chair – je passe… (cette poésie…) (j’adore – encore merci)
Le rocking-chair rouge et le palmier sont à toi qui les y a découverts ! Merci, Piero !
Merci beaucoup Hélène pour ce texte court et puissant ( qui je ne sais pas pourquoi, dégage quelque chose d’un réalisme magique à la garcia marquez ) , merci pour le risque pris de devenir son propre personnage
Merci infiniment Line ! Oui, ces parcours mentaux hors de soi-même, mais sans le courage de faire le parcours complet !